Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/428

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Sa figure, hideuse et dégoûtante à l’excès, mais agréable, et même charmante en comparaison de tout le reste, n’empêcha pas la séduction de l’éblouissement de sa place. Mlle de Verderonne, qui étoit riche, et qui étoit L’Aubépine comme ma mère, mais parente éloignée, en voulut bien.

Le chancelier, qui voyoit avec la dernière peine la façon dont je me conduisois à l’égard de son fils, se mit dans la tête un replâtrage pour le public, et d’exiger que j’allasse à la noce. Je m’écriai à la proposition. Il ne se rebuta point. Je m’adressai à la chancelière qui, là-dessus plus raisonnable que lui, essaya de le persuader : tout fut inutile. Il pria, pressa, conjura, se fâcha, prit le ton d’autorité qu’il avoit sur moi. Finalement nous capitulâmes. Je lui déclarai donc que la violence qu’il exerçoit sur moi par cette complaisance étoit une tyrannie ; que je ne changerois pour son fils ni de disposition, ni de volonté, ni de projet ; que je les lui réitérois même, moyennant quoi je ne voyois pas ce qu’il y avoit à gagner ni pour les uns ni pour les autres, à me traîner à une noce où, par le souvenir de sa première belle-fille, je ne pourrois être qu’affligé, et où, par ce qui s’étoit passé, il étoit bien difficile que son fils ne se trouvât fort embarrassé de ma présence, et moi au désespoir de la sienne. Je ne sais ce que le chancelier imagina, mais il me passa tout, pourvu que j’allasse à cette noce, que je visse par-ci par-là M. de Pontchartrain, c’est-à-dire que je ne fisse plus profession de ne point voir son fils, et de lui tourner le dos partout où je le rencontrois. Il voulut peut-être lui ôter un dégoût public fort nouveau à sa place, détourner par là les remarques journalières du monde, et ses raisonnements sur une conduite à laquelle le chancelier sembloit bien consentir, puisqu’elle n’avoit rien changé dans l’intimité, ni dans la continuité de notre commerce, et par conséquent aggraver les torts de son fils. [J’ignore] s’il espéra, en ôtant cette rudesse extérieure, que le temps nous rapprocheroit, émousseroit