Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/461

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M. de Vardes fut commis pour retirer les lettres des mains de Mlle de Montalois, et étoit le confident entre les deux ; mais il ne rendit pas toutes les lettres, et il en retint deux qu’il mit entre les mains de Mme la Comtesse pour s’en servir contre Madame en cas de besoin.

« Dans ce même temps les amours de Mlle de La Vallière et du roi commençoient, et Mme la Comtesse vouloit les rompre. Elle prit une enveloppe d’un paquet du roi d’Espagne à la reine, et concerta une lettre avec Vardes comme du roi d’Espagne à la reine, qui lui donnoit avis des amours de Mlle de La Valliere et du roi, et ils la firent traduire en espagnol par le comte de Guiche, la firent écrire [1]par le beau-frère de Gourville, et l’envoyèrent à Gourville en Flandre afin qu’il l’envoyât par un courrier.

« Cette lettre fut adressée à la señora Molina, Espagnole, pour la rendre à la reine [2]. Elle la donna au roi qui jugea que c’étoit une lettre supposée, mais ne put découvrir d’où elle venoit, et l’on prétend qu’il soupçonna Mme de Navailles [3], et que c’est la véritable cause de sa disgrâce. Depuis, M. de Vardes s’étant brouillé avec Madame pour avoir dit au fils de M. le comte d’Harcourt qu’il devoit s’adresser à Madame sans s’amuser aux suivantes, le roi l’a envoyé, à la prière de Madame, à Aigues-Mortes [4], sans lui vouloir cependant de mal, disant qu’il seroit son solliciteur d’affaires.

« Mme la Comtesse, ennuyée de ce long exil, a fait prier Madame de s’adoucir, et pour l’y obliger lui a fait dire qu’elle avoit des lettres et de quoi lui donner de la peine. Madame s’en étant irritée, et sachant par le comte de Guiche l’histoire de la lettre, elle l’a dite au roi. Ce fut dans la tribune le jour du ballet qu’elle en fit sortir Mme la Comtesse ; et le roi l’ayant pressée de faire quelque civilité à Mme la Comtesse et lui disant qu’elle la devoit ménager ayant des lettres, sur cela Madame lui dit la lettre espagnole [5].

« Le comte de Guiche mandé aussitôt par le roi, après avoir obtenu son pardon, lui a dit toute l’intrigue et a fort chargé Vardes, et le roi a pris par écrit sa déclaration et la lui a fait signer. L’on dit que le comte de Guiche a découvert encore d’autres intrigues sur l’affaire de Dunkerque, et qu’il avoit conseillé à Madame de s’y retirer avec Monsieur, et que, soutenue du roi d’Angleterre, elle se feroit considérer, et l’on parle que ces lettres ont été rendues au roi, par lesquelles il

  1. 2. Ces événements sont de la fin de l’année 1662, d’après les Mémoires de Mme de Motteville.
  2. 2. Ces événements sont de la fin de l’année 1662, d’après les Mémoires de Mme de Motteville.
  3. Gouvernante des filles d’honneur de la reine. Voy. las Mémoires de Mme de Motteville.
  4. Vardes était gouverneur d’Aigues-Mortes depuis 1660.
  5. Ce dénoûment d’une intrigue qui remontait à l’année 1661 se place au mois de mars 1665.