Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/9

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n’étoit jamais sorti de sa province, et ce fils n’avoit paru ni à la cour ni dans le service. Le père étoit fort mal aisé, et le fils, qui n’avoit rien, fut trop heureux de cette ressource ; on le retrouvera dans la suite plus d’une fois. Outre cette affection, Mme des Ursins fut bien aise d’avoir quelqu’un entièrement à elle, qui ne tînt qu’à elle, qui ne pût espérer rien que d’elle, et qui ne fût connu de personne en France ni en Espagne.

Non contente d’y régner en toute autorité et puissance, elle osa songer à avoir elle-même de quoi régner. Elle saisit la conjoncture du don que le roi d’Espagne fit à l’électeur de Bavière, de ce qui étoit demeuré dans son obéissance aux Pays-Bas, pour y faire stipuler que l’électeur y donneroit des terres jusqu’à cent mille livres de rente à elle pour en jouir sa vie durant en toute souveraineté. Bientôt après il fut convenu avec l’électeur que le chef-lieu de ces terres, qui doivent être contiguës et n’en former qu’une seule, seroit la Roche en Ardennes, et que la souveraineté en porteroit le nom. On verra dans la suite cette souveraineté prendre diverses formes, changer de lieu, et se dissiper enfin en fumée, et cela dura longtemps. Mme des Ursins s’en tint si assurée, qu’elle bâtit là-dessus un beau projet : ce fut d’échanger avec le roi la souveraineté qui lui seroit assignée sur sa frontière, et pour celle-là, d’avoir en souveraineté la Touraine et le pays d’Amboise sa vie durant, réversible après à la couronne, de quitter l’Espagne, et de venir en jouir le reste de ses jours.

Dans ce dessein qu’elle crut immanquable, elle envoya en France d’Aubigny, cet écuyer si favori dont il a été parlé ici plus d’une fois, avec ordre de lui préparer une belle demeure pour la trouver toute prête à la recevoir. Il acheta un champ près de Tours, et plus encore d’Amboise, sans terres ni seigneurie, parce qu’étant souveraine de la province, elle n’en avoit pas besoin. Il se mit aussitôt à y bâtir très-promptement, mais solidement, un vaste et superbe château,