Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/112

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l’audace, et un orgueil qui s’étendoit à tout ; mais comme elle avoit beaucoup d’esprit et de tour, et d’agrément dans l’esprit, elle sentoit les proportions, et avoit le jugement de ne les outre-passer guère et de couvrir son jeu de beaucoup de politesse pour les personnes qu’il ne falloit pas heurter, et d’un air de familiarité avec les autres, qui voiloit comme par bonté celui d’autorité. En quelque lieu qu’elle fût, elle y donnoit le ton et y paraissoit la maîtresse. Il étoit dangereux de lui déplaire ; elle se refusoit peu de choses, et encore n’étoit-ce que par rapport à elle-même, d’ailleurs très bonne amie, et très sûre dans le commerce.

Son air libre étoit non seulement hardi, mais audacieux, et, avec la conduite dont on a d’abord touché un mot, elle ne laissa pas d’être une sorte de personnage dans Paris, et un tribunal avec lequel il falloit compter ; je dis dans Paris, où elle étoit une espèce de reine ; car à la cour, elle n’y couchoit jamais, et n’y alloit qu’aux occasions, ou une ou deux fois au plus l’année.

Le roi personnellement ne l’avoit jamais aimée ; sa liberté l’effarouchoit ; elle avoit été souvent exilée, et quelquefois longtemps. Malgré cela elle arrivoit chez le roi la tète haute, et on l’entendoit de deux pièces ; ce parler haut ne baissoit point de ton, et fort souvent même au souper du roi, où elle attaquoit Monseigneur et les autres princes ou princesses qui étoient à table, derrière qui elle se trouvoit, et les dames assises auprès d’elle.

Elle traitoit ses enfants et souvent aussi ses amis et ses compagnies avec empire ; elle l’usurpoit sur les frères et les neveux de son mari et sur les siens, sur M. le prince de Conti et sur M. le Duc même, tout féroce qu’il étoit, et qui à Paris ne bougeoit de chez elle. Elle traitoit M. de Bouillon avec mépris, et tous étoient plus petits devant elle que l’herbe. Elle n’alloit chez personne qu’aux occasions, mais elle y étoit exacte et chez quelques amis fort particuliers ; et ces visites, elle y conservoit un air de grandeur et de supériorité