Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/131

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souffler ; les princes du sang en âge de trembler comme des enfants qu’ils étoient ; les ducs hors de tout moyen de s’opposer, et le parlement réduit au silence et à l’esclavage ; et là-dessus à qui des deux crieroit le plus fort et pesteroit davantage, car rien de leur part ne fut ménagé, ni choses, ni termes, ni personnes.

J’étois bien aussi en colère, mais il est vrai que ce sabbat me fit rire et conserva ma froideur. Je convins avec eux que quant alors je n’y voyois point de remède, et nulles mesures à prendre ; mais qu’en attendant ce qui pouvoit arriver à l’avenir, je les aimois encore mieux princes du sang capables de la couronne, qu’avec leur rang intermédiaire. Et il est vrai que je le pensai ainsi dès que j’eus repris mes esprits.

Enfin l’ouragan s’apaisa peu à peu. Nous raisonnâmes et ils m’apprirent que le premier président et le procureur général, qui en effet étoient venus ce jour-là de très bonne heure à Marly chez le chancelier, qui avoit vu le roi dans son cabinet, à l’issue de son lever, et qui étoient revenus à Paris tout de suite, en avoient rapporté la déclaration tout expédiée. Il falloit néanmoins que liaisons l’eût sue plus tôt d’ailleurs, parce qu’à l’heure que le laquais qu’il m’envoya arriva à Marly, ces messieurs n’en pouvoient pas être revenus à Paris quand il partit. Nos discours n’allant à rien, je pris congé et regagnai Marly au plus vite, afin que mon absence ne fît point parler.

Tout cela néanmoins me conduisit vers l’heure du souper du roi. J’allai droit au salon, je le trouvai très morne. On se regardoit, on n’osoit presque s’approcher, tout au plus quelque signe dérobé ou quelque mot en se frôlant coulé à l’oreille. Je vis mettre le roi à table, il me sembla plus morgué qu’à l’ordinaire, et regardant fort à droite et à gauche. Il n’y avoit qu’une heure que la nouvelle avoit éclaté, on en étoit glacé encore, et chacun fort sur ses gardes. À chose sans ressource il faut prendre son parti, et