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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/14

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dont il avoit apporté un exemplaire qu’il mit sur la table. Je l’interrompis pour venir à la proposition de l’excommunication. Nous la discutâmes avec beaucoup de politesse, mais avec fort peu d’accord. Tout le monde sait que la proposition censurée est : qu’une excommunication injuste ne doit point empêcher de faire son devoir ; par conséquent qu’il résulte de sa censure : que excommunication injuste doit empêcher de faire son devoir. L’énormité de cette dernière frappe encore plus fortement que ne fait la simple vérité de la proposition censurée. C’en est une ombre qui la fait mieux ressortir. Les suites et les conséquences affreuses de la censure sautent aux yeux.

Je ne prétends pas rapporter notre dispute. Elle fut vive et longue. Pour l’abréger je lui fis remarquer que dans la situation présente des choses, où, quand on raisonne on doit tout prévoir, surtout les cas les plus naturels, conséquemment les plus possibles, le roi pouvoit mourir et le Dauphin aussi, qui tous les deux se trouvoient aux deux extrémités opposées de l’âge ; que, si ce double malheur arrivoit, la couronne par droit de naissance appartiendroit au roi d’Espagne et à sa branche ; que par le droit que les renonciations venoient d’établir, elle appartiendroit à M. le duc de Berry et à sa branche, et à son défaut à M. le duc d’Orléans et à la sienne ; que si les deux frères se la vouloient disputer, ils auroient chacun des forces, des alliés et en France des partisans ; qu’alors le pape auroit beau jeu, si sa constitution étoit crue et reçue sans restriction, de donner la couronne à celui des deux contendants qu’il lui plairoit, en excommuniant l’autre, puisque, moyennant sa censure reçue et crue, quelque juste que pût être le droit de l’excommunié, quelque devoir qu’il y eût à soutenir son parti, il faudroit l’abandonner et passer de l’autre côté, puisqu’il seroit établi, et qu’on seroit persuadé qu’une excommunication injuste doit empêcher de faire son devoir ; et dès là, d’une façon ou d’une autre, voilà le pape maître de toutes les couronnes de