Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/165

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de ceci son caractère, qui est touché ailleurs, on sentira avec terreur quel serpent à sonnettes dans le plus intime intérieur du roi.

Dans l’état où on vient de représenter qu’étoit le roi, établis l’un et l’autre dans son esprit et dans son cœur au point où ils l’étoient, et parfaitement d’accord ensemble, il fut question de profiter d’un temps précieux qu’ils sentoient bien ne pouvoir plus être long. Si la couronne même n’étoit pas leur but, comme il semble difficile d’en douter après ce qui a été remarqué sur l’édit qui en rend les bâtards capables, au moins vouloient-ils toutes les grandeurs dont on vient de parler, et s’assurer en même temps, autant qu’il pouvoit être possible, d’une puissance qui les établit, à la mort du roi, dans un état assez formidable pour les mettre en situation non seulement de se soutenir entiers d’une manière durable, mais encore de forcer le régent de compter sur tout avec eux.

Tout leur riait dans ce vaste dessein ; eux mêmes en avoient préparé les voies par les calomnies exécrables dont ils avoient eu l’art profond, et si bien suivi, de noircir le seul prince à qui la régence ne pouvoit être contestée. Ils étoient parvenus, à force d’artifices et de manéges obscurs, mais toujours vigilants, à persuader les ignorants et les simples, à donner des soupçons aux autres, à le rendre au moins suspect à tous dans Paris et dans les provinces, et plus à la cour qu’ailleurs, où personne ne vouloit ou n’osoit approcher de M. le duc d’Orléans. Ces bruits ne pouvoient pas toujours durer ; on se lasse enfin de dire et de parler de la même chose. Ils tomboient donc, mais tôt après ils reprenoient une nouvelle vigueur. On n’entendoit plus s’entretenir d’autre chose, sans savoir pourquoi cela avoit repris ; et ces bouffées d’ouragan reprenoient de la sorte et se soutenoient du temps par les mêmes ressorts qui leur avoient donné le premier être. Ces bouffées leur servoient infiniment pour réveiller toutes les horreurs du roi par les récits de ce qu’ils