Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/175

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ce qui regardoit son testament. Quelques jours avant que cette nouvelle éclatât, plein encore de l’énormité de l’état et droits entiers de prince du sang, et d’habilité de succéder à la couronne qui venoit de lui être arrachée pour ses bâtards, il les regarda tous deux dans son cabinet, en présence de ce petit intérieur de valets, et de d’Antin et d’O, et d’un air aigre et qui sentoit le dépit, il se prit tout à coup à leur dire, adressant la parole et un œil sévère à M. du Maine : « Vous l’avez voulu, mais sachez que, quelque grands que je vous fasse, et que vous soyez de mon vivant, vous n’êtes rien après moi, et c’est à vous après à faire valoir ce que j’ai fait pour vous, si vous le pouvez. » Tout ce qui étoit présent frémit d’un éclat de tonnerre si subit, si peu attendu, si entièrement éloigné du caractère du roi et de son habitude, et qui montroit si naïvement l’ambition extrême du duc du Maine, et la violence qu’il avoit faite à la faiblesse du roi, qui sembloit si manifestement se la reprocher, et au bâtard son ambition et sa tyrannie.

Ce fut alors que le rideau se leva devant tout cet intérieur, jusque-là si surpris, si étonné, si en peine des changements si marqués, si suivis de M. du Maine dans cet intérieur, qui viennent d’être expliqués il n’y a pas longtemps. Deux jours après, ce qui arriva acheva de lever le rideau. La consternation de M. du Maine parut extrême à cette sortie si brusque, et que nul propos qui vint à cela n’avoit attirée. Le roi s’y étoit abandonné de plénitude. Tout ce qui étoit là, les yeux fichés sur le parquet, en étoient à retenir leur haleine. Le silence fut profond un temps assez marqué ; il ne finit que lorsque le roi passa à sa garde-robe, et qu’en son absence chacun respira. Il avoit le cœur bien gros de ce qu’on lui avoit fait faire ; mais, semblable à une femme qui accouche de deux enfants, il n’avoit encore mis au monde qu’un monstre, et il en portoit encore un second dont il falloit se délivrer, et dont il sentoit toutes les angoisses, sans aucun soulagement des douleurs que lui avoit causées le premier.