Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/186

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du monde un air ouvert et ordinaire, en garde contre tout air mécontent et contre la curiosité de tous les yeux. L’abandon inexprimable où il étoit au milieu de la cour et du monde lui servit au moins à le garantir de tout propos hasardé sur le testament, dont personne ne se trouva à portée de lui parler ; et ce fut en vain que Maisons, qui affecta de laisser passer quelque temps sans le voir, essaya par Canillac et par lui-même de le faire parler là-dessus. Ce ne fut que dans la suite que le duc de Noailles et lui le firent avec plus de succès, lorsque la santé plus menaçante du roi engagea à s’élargir sur les mesures à prendre.

Il falloit qu’il y eût déjà du temps que le roi songeât à pourvoir à l’éducation du Dauphin après lui. Il étoit bien naturel que, pensant sur tout comme on le faisoit penser de M. le duc d’Orléans, il ne voulût pas lui en laisser la disposition, et songeât à la faire lui-même. Peut-être fut-ce par ce point que Mme de Maintenon et M. du Maine firent ouvrir la tranchée devant lui par Voysin, pour de l’un à l’autre le conduire à tout le reste. Quoi qu’il en soit, étant allé à Vaucresson fort peu après la mort de M. le duc de Berry, où M. de Beauvilliers étoit dans son lit un peu incommodé, il voulut être seul avec moi. Là il me dit sans préface et sans que la conversation conduisit, car ce fut tout aussitôt que nous fûmes seuls, qu’il avoit une question à me faire, mais qu’avant de me dire ce que c’étoit, il exigeoit ma promesse que j’y répondrois sans complaisance, sans contrainte, mais naturellement, suivant ce que je pensois, et que ce n’étoit que sur ce fondement assuré qu’il pouvoit me parler.

Je fus surpris de ce propos et je le lui témoignai. Je lui demandai si depuis tant d’années de bontés et de confiances intimes de sa part pour moi, et pendant lesquelles il s’étoit traité et passé tant de choses si importantes entre nous, l’ouverture, la franchise, la liberté entière de ma part avec lui, ne devoient pas lui répondre qu’il trouveroit toujours en moi les mêmes. Il me répondit avec toute l’amitié que