Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

choses, fit rappeler Pomponne dans le conseil d’État en 1691 aussitôt après, et y fit entrer le duc de Beauvilliers en même temps. Ce fut un prodige, et l’unique gentilhomme qui y ait été admis en soixante-douze ans de règne ; je dis l’unique, parce que les deux maréchaux de Villeroy qui ne l’étoient guère plus qu’il ne falloit, le père ne fut jamais ministre, et le fils, qui ne l’a été qu’un an depuis la mort de M. de Beauvilliers jusqu’à celle du roi, ne peut être compté en un si court espace. M. de Beauvilliers n’y songeoit pas plus qu’il avoit fait à ses deux autres places.

Quelque excessivement que le roi lui imposât, quelque foible qu’il parût à loi parler pour des grâces par une timidité qui étoit en lui, il n’étoit pas reconnoissable au conseil, à ce que j’ai ouï dire à Chamillart son ami, et au chancelier de Pontchartrain son ennemi si longtemps, lorsqu’il s’agissoit d’affaires de justice, ou d’affaires d’État importantes. Il opinoit alors avec fermeté, embrassoit toute l’étendue de l’affaire avec netteté et précision, la développoit avec lumière, prenoit son parti avec fondement, et le soutenoit avec modestie, mais avec une force que le penchant montré du roi n’ébranloit point. Dans les autres il se laissoit assez aller à son naturel doux et timide. Son exactitude, ou, pour parler plus juste, sa ponctualité à ses diverses et continuelles fonctions, étoit sans le plus léger relâche, qui, je crois, avoit augmenté sa précision naturelle jusqu’aux minutes, et jusqu’à savoir ce qu’il lui en falloit pour aller de chez lui chez le roi.

On a vu ailleurs avec quelle grandeur d’âme, quel détachement, quelle soumission à Dieu, quelle délicatesse de totale dépendance à son ordre, il soutint l’orage du quiétisme, la disgrâce de l’archevêque de Cambrai, de ceux qui y furent enveloppés, et le péril extrême qu’il y courut ; avec quelle noblesse il s’y conduisit ; et avec quelle soumission il reçut la nouvelle de la condamnation du livre de M. de Cambrai à Rome. Toutefois les plus rares tableaux