Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/20

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donnât de l’Altesse. Le fils fut tué sans alliance, la fille étoit fort aimée de son père ; il voulut imiter le roi ; il la maria au prince de Carignan, fils unique du fameux muet, et l’héritier présomptif de ses États après ses deux fils. Il fit appeler l’aîné duc de Savoie, l’autre prince de Piémont. Le roi nomma le marquis de Prie ambassadeur à Turin, et lui donna quatre mille livres d’augmentation de pension, mille écus par mois, et dix mille pour son équipage. Il épousa avant son départ la fille de Plénœuf qui s’étoit enrichi aux dépens des vivres et des hôpitaux des armées, et qui étoit devenu depuis, pour se mettre à couvert, commis de Voysin. Mme de Prie [1] étoit extraordinairement jolie et bien faite, avec beaucoup d’esprit et une lecture surprenante. Elle fut à Turin avec son mari ; à son retour, elle devint maîtresse publique de M. le Duc, et la Médée de la France pendant le ministère de ce prince.

Le roi donna le gouvernement d’Alsace et celui de Brisach, vacants par la mort du duc Mazarin, au maréchal d’Huxelles, qui fut un présent de près de cent mille livres de rente ; cent mille écus à Torcy sur les postes, et quatre cent mille livres à Pontchartrain, pour lui aider à acheter les terres que la maréchale de Clérembault lui vendit pour après sa mort ; et autres quatre cent mille livres à M. de La Rochefoucauld, qui, sous prétexte de pleurer pour avoir de quoi payer ses dettes voulut gorger ses valets.

La Vrillière vendit sa charge de greffier de l’ordre à Lamoignon, président à mortier, avec permission de conserver le cordon bleu ; Voysin eut le râpé [2] de cette charge. Chamillart vendit aussi la sienne de grand trésorier de l’ordre en

  1. Mme de Prie était fille d’un riche financier nommé Berthelot de Plénœuf ou Pleinœuf. Le marquis d’Argenson confirme, dans ses Mémoires (p. 201-202), ce que dit Saint-Simon de Mme de Prie : « Je ne crois pas, dit-il, qu’il ait jamais existé créature plus céleste. Une figure charmante et plus de grâces encore que de beauté ; un esprit vif et délié, du génie, de l’ambition, de l’étourderie, et pourtant une grande présence d’esprit, etc. » Le Journal inédit du marquis d’Argenson donne, sur Mme de Prie, des détails qu’il aurait été difficile d’insérer dans les Mémoires.
  2. Le sens de ce mot a été expliqué t. II, p. 296, note.