Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/206

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terrible qu’il m’a souvent avoué que celui de ses enfants ne lui avoit en comparaison presque rien coûté. Tout fut mis au pied de la croix. Avide de profiter de toute l’amertume d’un calice si exquis, on a vu qu’il n’en perdit pas une seule goutte dans ses affreuses fonctions à Saint-Denis, à Notre-Dame, auprès du roi, avec une supériorité sur soi-même qui passoit la portée de l’homme. La mort du duc de Chevreuse combla en lui la destruction de l’homme animal. Sa solitude la fut moins qu’une prison. Des sacrifices sanglants devinrent le tissu de sa vie. L’épurement sublime de son âme sans cesse lancée vers Dieu acheva la dissolution de la matière, et fit de sa mort un holocauste. Que si ce que la vérité m’a forcé de rapporter sur M. de Cambrai et sur le cardinal de Noailles étoit capable de répandre quelques nuages trompeurs, qu’on se souvienne sur le dernier de saint Épiphane avec saint Jean Chrysostome ; et sur le premier et sa Guyon, du célèbre Grenade, des lumières et de la sainteté dont personne n’a douté, et qui, pour un entêtement semblable, plus surprenant encore, n’a pu être canonisé ; et de nos jours, du savant Boileau de l’archevêché, et de M. Duguet, dont les nombreux ouvrages de piété font admirer l’étendue et la sublimité de son érudition et de ses lumières, qui tous deux ont été les admirateurs et les dupes jusqu’à leur mort, de cette Mlle Rose, cette étrange béate qui fut enfin chassée, sans que leurs yeux pussent s’ouvrir sur elle, et dont on a parlé en son temps.

J’avois eu la douceur de goûter toute la joie de la réconciliation parfaite, qu’on a vu en son lieu que j’avois faite entre le duc de Beauvilliers et le chancelier de Pontchartrain, et le déplaisir véritable du premier de la retraite de l’autre ; et j’eus la consolation de voir le chancelier sincèrement affligé de la mort du duc. Dès auparavant cette réconciliation, le chancelier, quoique ami du duc de Chevreuse, me disoit quelquefois plaisamment des deux beaux-frères « qu’il étoit merveilleux, liés comme ils l’étoient par l’habitude de