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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/219

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de les lui laisser : « Voyons donc, dit-il, ce que c’est que tout cela », d’un ton qui, dans mon extrême surprise, me détermina à n’en pas attendre davantage. Il étoit venu à moi jusque fort près de la porte, je l’ouvris, et sans regarder derrière moi, je cours encore.

J’allai conter mon aventure à Mme de Saint-Simon, et à des personnes de nos amis qui avoient dîné avec nous, et que je retrouvai encore, et me promis bien de ne parler plus que par lettres à un animal si ingrat et si bourru, quand j’aurois très nécessairement affaire à lui. La vérité est que, de ce moment, je me promis bien de ne rien oublier pour le mettre hors d’état d’avoir à brutaliser personne, et j’y parvins, comme on le verra dans la suite.

Dès le lendemain un commis me renvoya les expéditions faites sur les papiers dont je viens de parler et les payements se firent, mais ces payements étoient dus, et cette insolence ne me l’étoit pas, ainsi nous en demeurâmes en ces termes, et quand il falloit passer par lui je lui envoyois un mémoire.

Il étoit si enivré de sa place et de sa faveur inespérée, si en proie à son humeur et aux flatteries des nouveaux amis qui ne vouloient que faire des affaires, qu’il oublia les leçons de sa longue disgrâce et ses vrais et anciens amis désintéressés. M. de Beauvilliers et M. de Chevreuse n’étoient plus alors ; il s’étoit refroidi de même avec eux jusqu’à la cessation du commerce, et brouillé fortement avec Mme de Croissy qui, pendant sa disgrâce, avoit été toute sa ressource, depuis qu’il put demeurer à Paris, par conséquent très froidement avec Torcy. Tel étoit cet ogre.

Torcy, on a vu que je n’avois jamais eu aucun commerce avec lui, et sur quel pied gauche j’étois resté avec Pontchartrain ; Voysin, chancelier et secrétaire d’État, je n’y avois jamais eu la plus légère connoissance, et il étoit d’ailleurs l’âme damnée de Mme de Maintenon et de M. du Maine.

Ainsi, tous les successeurs de mes plus intimes amis m’étoient