Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/433

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et moi ne retournâmes pas l’un chez l’autre, et ne nous cherchions pas. Nous nous rencontrions rarement ; alors M. du Maine s’arrêtoit et me saluoit bas, et de la façon la plus marquée (son pied-bot l’obligeoit à s’arrêter ainsi quand il vouloit saluer quelqu’un par une véritable révérence) ; je lui répondis fidèlement par une demie, toujours marchant ; et nous vécûmes ainsi jusqu’à la mort du roi.

Quoique les réflexions gâtent souvent des Mémoires, il est difficile de s’empêcher d’en faire ici sur le renversement de toutes lois, droits et ordre pour des élévations sans mesure. Ceux qui les obtiennent regardent comme ennemi tout ce qui n’approuve pas leur fortune, et comme des gens à perdre tous ceux qui dans d’autres temps les y pourroient troubler. Semblables aux tyrans qui ont asservi leur patrie, ils craignent tout, ils se défient de tout, des hommes de sens et de courage dont l’état est blessé de cette étrange élévation ; ils se croient tout permis contre eux, et la crainte de déchoir devient en eux une passion si supérieure à tout autre sentiment, qu’il n’est crime dont ils puissent avoir horreur, dès qu’il devient utile à la conservation de ce qu’ils ont usurpé.

On voit ici le plus noir dessein du duc du Maine amené à succès par les plus noirs procédés, et en même temps les plus profondément pourpensés. La fausseté, la trahison, la perfidie, les manquements de parole sans cesse multipliés, la violence adroite pour attirer forcément dans ses pièges, les divers personnages également soutenus, le dernier abus d’une âme de boue, que comme telle il a mise sur le chandelier, à qui il fait souffler comme il veut le froid et le chaud, qu’il rend traître jusque sans le plus léger prétexte, et dont il se sert enfin pour faire vomir au roi les impostures les plus absurdes, mais les plus infernales contre tout ce que sa cour a de plus distingué et qui l’approche de plus près. À force de se cacher derrière des gazes, et de multiplier les horreurs, on sent qu’il est auteur et moteur de toutes les machines, et qu’il n’oublie rien pour n’être point