Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/448

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ce qui fit hasarder pour la première fois de nommer son nom au roi. Le duc de Chevreuse avoit enfin osé l’aller voir, et le recevoir une autre fois à Chaulnes ; et on peut juger que ce ne fut pas sans s’être assuré que le roi le trouvoit bon.

Fénelon, rendu enfin aux plus flatteuses et aux plus hautes espérances, laissa germer cette semence d’elle-même ; mais elle ne put venir à maturité. La mort si peu attendue du Dauphin l’accabla, et celle du duc de Chevreuse qui ne tarda guère après aigrit cette profonde plaie ; la mort du duc de Beauvilliers la rendit incurable, et l’atterra. Ils n’étoient qu’un cœur et qu’une âme, et, quoiqu’ils ne se fussent jamais vus depuis l’exil, Fénelon le dirigeoit de Cambrai jusque dans les plus petits détails. Malgré sa profonde douleur de la mort du Dauphin, il n’avoit pas laissé d’embrasser une planche dans ce naufrage. L’ambition surnageoit à tout, se prenoit à tout. Son esprit avoit toujours plu à M. le duc d’Orléans. M. de Chevreuse avoit cultivé et entretenu entre eux l’estime et l’amitié, et j’y avois aussi contribué par attachement pour le duc de Beauvilliers qui pouvoit tout sur moi. Après tant de pertes et d’épreuves les plus dures, ce prélat étoit encore homme d’espérances ; il ne les avoit pas mal placées. On a vu les mesures que les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers m’avoient engagé de prendre pour lui auprès de ce prince, et qu’elles avoient réussi de façon que les premières places lui étoient destinées, et que je lui en avois fait passer l’assurance par ces deux ducs dont la piété s’intéressoit si vivement en lui, et qui étoient persuadés que rien ne pouvoit être si utile à l’Église, ni si important à l’État, que de le placer au timon du gouvernement ; mais il étoit arrêté qu’il n’auroit que des espérances. On a vu que rien ne le pouvoit rassurer sur moi, et que les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers me l’avouoient. Je ne sais si cette frayeur s’augmenta par leur perte, et s’il crut que, ne les ayant plus pour me tenir, je