Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/449

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ne serois plus le même pour lui, avec qui je n’avois jamais eu aucun commerce, trop jeune avant son exil, et sans nulle occasion depuis. Quoi qu’il en soit, sa foible complexion ne put résister à tant de soins et de traverses. La mort du duc de Beauvilliers lui donna le dernier coup. Il se soutint quelque temps par effort de courage, mais ses forces étoient à bout. Les eaux, ainsi qu’à Tantale, s’étoient trop persévéramment retirées du bord de ses lèvres toutes les fois qu’il croyoit y toucher pour y éteindre l’ardeur de sa soif.

Il fit un court voyage de visite épiscopale, il versa dans un endroit dangereux, personne ne fut blessé, mais il vit tout le péril, et eut dans sa foible machine toute la commotion de cet accident. Il arriva incommodé à Cambrai, la fièvre survint, et les accidents tellement coup sur coup qu’il n’y eut plus de remède ; mais sa tête fut toujours libre et saine. Il mourut à Cambrai le 7 janvier de cette année, au milieu des regrets intérieurs, et à la porte du comble de ses désirs. Il savoit l’état tombant du roi, il savoit ce qui le regardoit après lui. Il étoit déjà consulté du dedans et recourtisé du dehors, parce que le goût du soleil levant avoit déjà percé. Il étoit porté par le zèle infatigablement actif de son petit troupeau, devenu la portion d’élite du grand parti de la constitution par la haine des anciens ennemis de l’archevêque de Cambrai, qui ne l’étoient pas moins de la doctrine des jésuites qu’il s’agissoit, de tolérée à grande peine qu’elle avoit été depuis son père Molina, de rendre triomphante, maîtresse et unique. Que de puissants motifs de regretter la vie ; et que la mort est amère dans des circonstances si parfaites et si à souhait de tous côtés ! Toutefois il n’y parut pas. Soit amour de la réputation, qui fut toujours un objet auquel il donna toute préférence, soit grandeur d’âme qui méprise enfin ce qu’elle ne peut atteindre, soit dégoût du monde si continuellement trompeur pour lui, et de sa figure qui passe et qui alloit lui échapper, soit piété ranimée par un long usage, et ranimée peut-être par ces tristes mais