Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/65

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très fréquent et très libre l’étoit devenu beaucoup moins entre les deux beaux-frères et moi depuis la mort de la duchesse de Villeroy. La reprise de cette dispute le rendit encore plus froid et plus rare, et cette fin l’éteignit tout à fait ; on en demeura aux simples bienséances des rares occasions. J’avois mon compte, je m’en consolai. On verra dans la suite que cette aigreur secrète les conduisit fort mal.

Saint-Chamant mourut à la campagne où il s’étoit retiré depuis longtemps. Il avoit été lieutenant des gardes du corps. Il commanda le détachement de la maison du roi qui conduisit la reine d’Espagne, fille de Monsieur, à la frontière. La reine allongea ce voyage tant qu’elle put. Saint-Chamant étoit fort bien fait ; il avoit de l’esprit, encore plus d’audace ; la reine peu d’expérience, de ménagement, de contrainte. Tout cela fit un grand bruit à la cour et retentit fort en Espagne, qui y fit grand tort à la reine, et qui perdit Saint-Chamant ici.

M. de Berwick fut nommé pour aller faire au roi d’Espagne les compliments de condoléance ; il s’agissoit du siège de Barcelone, et de soumettre les Catalans qui tenoient bon malgré la paix, et qui sous main étoient secourus. Mme des Ursins s’étoit trop bien trouvée du flexible et courtisan Tessé pour vouloir un autre général, et le faisoit demander par le roi d’Espagne. Tessé, qui n’avoit plus rien à gagner en ce pays-là, ne se soucioit point d’être chargé d’une si forte expédition. Le roi et Mme de Maintenon, par des raisons qu’il sera bientôt temps de développer, préférèrent le duc de Berwick à tout autre, qui, outre sa capacité, sa bonne volonté et son expérience d’Espagne, étoit depuis longtemps fort mal avec Orry pour l’avoir traité souvent comme il le méritoit, et par conséquent fort peu au gré de Mme des Ursins, qui le trouvoit droit, ferme, libre, barre de fer, toutes qualités qu’elle n’aimoit pas à rencontrer, surtout dans un général d’armée. Le roi donna quinze bataillons