Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

corde fort aisément, aux occasions même peu délicates, où son peu de cervelle le trahissoit, peu retenu d’ailleurs quand ses vues, ses espérances et son intérêt, même l’envie de plaire et de flatter, ne s’accordoient pas avec la probité. C’étoit toujours, hors des choses communes, un embarras et une confiance dont le mélange devenoit ridicule. On distinguoit l’un d’avec l’autre, on voyoit qu’il ne savoit où il en étoit ; quelque sproposito prononcé avec autorité, étayé de ses grands airs, étoit ordinairement sa ressource Il étoit brave de sa personne ; pour la capacité militaire on en a vu les funestes fruits. Sa politesse avoit une hauteur qui repoussoit ; et ses manières étoient par elles-mêmes insultantes quand il se croyoit affranchi de la politesse par le caractère des gens. Aussi était-ce l’homme du monde le moins aimé, et dont le commerce étoit le plus insupportable, parce qu’on n’y trouvoit qu’un tissu de fatuité, de recherche et d’applaudissement de soi, de montre de faveur et de grandeur de fortune, un tissu de questions qui en interrompoient les réponses, qui souvent ne les attendoient pas, et qui toujours étoient sans aucun rapport ensemble. D’ailleurs nulle chose que des contes de cour, d’aventures, de galanteries ; nulle lecture, nulle instruction, ignorance crasse surtout, plates plaisanteries, force vent et parfoit vide. Il traitoit avec l’empire le plus dur les personnes de sa dépendance. Il est incroyable les traitements continuels que jusqu’à sa mort il a faits continuellement à son fils qui lui rendoit des soins infinis et une soumission sans réplique, et j’ai su par des amis de Tallard, dont il étoit fort proche et [qu’il] a toujours protégé, qu’il le mettoit sans cesse au désespoir, même parvenu à la tête de l’armée. Enfin la fausseté, et la plus grande et la plus pleine opinion de soi en tout genre, mettent la dernière main à la perfection de ce trop véritable tableau.