Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/381

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accoutumé de malmener les autres et d’en être respecté jusqu’au tremblement, demeura tout abasourdi. On donna donc au roi dix gouttes de cet élixir dans du vin d’Alicante, sur les onze heures du matin. Quelque temps après il se trouva plus fort, mais le pouls étant retombé et devenu fort mauvais, on lui en présenta une autre prise sur les quatre heures, en lui disant que c’étoit pour le rappeler à la vie. Il répondit en prenant le verre où cela étoit : « A la vie ou à la mort ! tout ce qui plaira à Dieu. »

Mme de Maintenon venoit de sortir de chez le roi, ses coiffes baissées, menée par le maréchal de Villeroy par-devant chez elle sans y entrer, jusqu’au bas du grand degré où elle leva ses coiffes. Elle embrassa le maréchal d’un œil fort sec, en lui disant : « Adieu, monsieur le maréchal ! » monta dans un carrosse du roi qui la servoit toujours, dans lequel Mme de Caylus l’attendoit seule, et s’en alla à Saint-Cyr, suivie de son carrosse où étoient ses femmes. Le soir le duc du Maine fit chez lui une gorge chaude fort plaisante de l’aventure de Fagon avec Le Brun. On reviendra ailleurs à parler de sa conduite, et de celle de Mme de Maintenon et du P. Tellier en ces derniers jours de la vie du roi. Le remède de Le Brun fut continué comme il voulut, et il le vit toujours prendre au roi. Sur un bouillon qu’on lui proposa de prendre, il répondit qu’il ne falloit pas lui parler comme à un autre homme ; que ce n’étoit pas un bouillon qu’il lui falloit, mais son confesseur ; et il le fit appeler. Un jour qu’il revenoit d’une perte de connoissance, il demanda l’absolution générale de ses péchés au P. Tellier, qui lui demanda s’il souffroit beaucoup. « Eh ! non, répondit le roi, c’est ce qui me fâche, je voudrois souffrir davantage pour l’expiation de mes péchés. »

Le jeudi 29 août dont la nuit et le jour précédents avoient été si mauvais, l’absence des tenants qui n’avoient plus à besogner au delà de ce qu’ils avoient fait, laissa l’entrée de la chambre plus libre aux grands officiers qui en avoient