Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/403

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leur ont succédé. Il s’approprioit tout avec une facilité et une complaisance admirable en lui-même, et se croyoit tel qu’ils le dépeignoient en lui parlant. De là ce goût de revues, qu’il poussa si loin, que ses ennemis l’appeloient « le roi des revues, » ce goût de sièges pour y montrer sa bravoure à bon marché, s’y faire retenir à force, étaler sa capacité, sa prévoyance, sa vigilance, ses fatigues, auxquelles son corps robuste et admirablement conformé étoit merveilleusement propre, sans souffrir de la faim, de la soif, du froid, du chaud, de la pluie, ni d’aucun mauvais temps. Il étoit sensible aussi à entendre admirer, le long des camps, son grand air et sa grande mine, son adresse à cheval et tous ses travaux. C’étoit de ses campagnes et de ses troupes qu’il entretenoit le plus ses maîtresses, quelquefois ses courtisans. Il parloit bien, en bons termes, avec justesse ; il faisoit un conte mieux qu’homme du monde, et aussi bien un récit. Ses discours les plus communs n’étoient jamais dépourvus d’une naturelle et sensible majesté.

Son esprit, naturellement porté au petit, se plut en toutes sortes de détails. Il entra sans cesse dans les derniers sur les troupes : habillements, armements, évolutions, exercices, discipline, en un mot, toutes sortes de bas détails. Il ne s’en occupoit pas moins sur ses bâtiments, sa maison civile, ses extraordinaires de bouche ; il croyoit toujours apprendre quelque chose à ceux qui en ces genres-là en savoient le plus, qui de leur part recevoient en novices des leçons qu’ils savoient par cœur il y avoit longtemps. Ces pertes de temps, qui paraissoient au roi avec tout le mérite d’une application continuelle, étoient le triomphe de ses ministres, qui, avec un peu d’art et d’expérience à le tourner, faisoient venir comme de lui ce qu’ils vouloient eux-mêmes et qui conduisoient le grand selon leurs vues, et trop souvent selon leur intérêt, tandis qu’ils s’applaudissoient de le voir se noyer dans ces détails. La vanité et l’orgueil, qui vont toujours croissant, qu’on