Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/409

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tout se pouvoit dire, pourvu encore une fois que ce fût avec cet air de respect, de soumission, de dépendance, sans lequel on se seroit encore plus perdu que devant, mais avec lequel aussi, en disant vrai, on interrompoit le roi à son tour, on lui niait crûment des faits qu’il rapportoit, on élevoit le ton au-dessus du sien en lui parlant, et tout cela non seulement sans qu’il le trouvât mauvais, mais se louant après de l’audience qu’il avoit donnée, et de celui qui l’avoit eue, se défaisant des préjugés qu’il avoit pris, ou des faussetés qu’on lui avoit imposées, et le marquant après par ses traitements. Aussi les ministres avoient-ils grand soin d’inspirer au roi l’éloignement d’en donner, à quoi ils réussirent comme dans tout le reste.

C’est ce qui rendoit les charges qui approchoient de la personne du roi si considérables, et ceux qui les possédoient si considérés, et des ministres mêmes, par la facilité qu’ils avoient tous les jours de parler au roi, seuls, sans l’effaroucher d’une audience qui étoit toujours sue, et de l’obtenir sûrement, et sans qu’on s’en aperçût, quand ils en avoient besoin. Surtout les grandes entrées par cette même raison étoient le comble des grâces, encore plus que de la distinction, et c’est ce qui, dans les grandes récompenses des maréchaux de Boufflers et de Villars, les fit mettre de niveau à la pairie et à la survivance de leurs gouvernements à leurs enfants tous jeunes, dans le temps que le roi n’en donnoit plus à personne.

C’est donc avec grande raison qu’on doit déplorer avec larmes l’horreur d’une éducation uniquement dressée pour étouffer l’esprit et le cœur de ce prince, le poison abominable de la flatterie la plus insigne qui le déifia dans le sein même du christianisme, et la cruelle politique de ses ministres qui l’enferma, et qui pour leur grandeur, leur puissance et leur fortune l’enivrèrent de son autorité, de sa grandeur, de sa gloire jusqu’à le corrompre, et à étouffer en lui, sinon toute la bonté, l’équité, le désir de connoître la vérité