Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/42

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Il faut achever les changements d’Espagne, d’autant que je ne les préviens que de six semaines. Alonzo Manriquez étoit un homme de qualité, et le seul pour qui le roi d’Espagne eut invariablement une amitié constante. Il aimoit aussi le roi avec attachement ; il étoit grand, de taille aisée, fort bien fait, avec un air noble et un visage agréable, et, chose rare pour un Espagnol, il étoit blond et avoit de belles dents. Son esprit étoit médiocre, mais sage et mesuré au dernier point ; éloigné de se mêler d’affaires et de cabales, et tout aussi éloigné de faire sa cour à aucun ministre, même à la princesse des Ursins ; d’ailleurs l’homme le plus affable, le plus poli, le plus gracieux, de l’accès le plus facile. Son affection pour le roi d’Espagne lui en avoit donné pour les François. Il n’étoit pas riche, mais autant qu’il le pouvoit généreux et libéral. Dès qu’il fut grand seigneur, il devint magnifique et conserva les mêmes mœurs. Il étoit fort réservé à rendre de bons offices et à parler au roi pour quelqu’un, non que l’inclination ne l’y portât, mais il en sentoit le danger avec un prince aussi dépendant d’autrui. C’étoit un des plus grands toréadors de toute l’Espagne, et qui se consoloit le moins qu’on eût banni ces combats, où il avoit fait de grandes folies avec une grande valeur. C’est lui qui fut obligé de se retirer dans un couvent au plus vite, en attendant que sa grâce lui fût expédiée, et qui la fut promptement, pour avoir sauté à bas de son cheval et tiré le pied de la feue reine de son étrier, tombée et traînée par le sien, à qui il sauva ainsi la vie. Sa femme, qui avoit beaucoup de mérite, et qui étoit Enriquez, et avec qui il a toujours vécu dans la plus grande union, avoit souvent des musiques chez elle, et ils en eurent une fort bonne à eux quand ils se virent en état de figurer. Ils voyoient beaucoup plus de monde que tous les autres seigneurs espagnols, et bien plus librement. Alonzo Manriquez fut majordome du roi, puis premier écuyer, qui ne ressemble en rien au nôtre, comme on le verra ailleurs. Il quitta en ce temps-ci cette charge, parce