Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/107

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Tout ce qui la composoit étoit de deux sortes : les uns, en espérance de figurer, de se mêler, de s’introduire, étoient ravis de voir finir un règne sous lequel il n’y avoit rien pour eux à attendre ; les autres, fatigués d’un joug pesant, toujours accablant, et des ministres bien plus que du roi, étoient charmés de se trouver au large ; tous, en général, d’être délivrés d’une gêne continuelle, et amoureux des nouveautés.

Paris, las d’une dépendance qui avoit tout assujetti, respira dans l’espoir de quelque liberté, et dans la joie de voir finir l’autorité de tant de gens qui en abusoient. Les provinces, au désespoir de leur ruine et de leur anéantissement, respirèrent et tressaillirent de joie ; et les parlements et toute espèce de judicature, anéantie par les édits et par les évocations, se flatta, les premiers de figurer, les autres de se trouver affranchis. Le peuple ruiné, accablé, désespéré, rendit grâces à Dieu, avec un éclat scandaleux, d’une délivrance dont ses plus ardents désirs ne doutoient plus.

Les étrangers ravis d’être enfin, après un si long cours d’années, défaits d’un monarque qui leur avoit si longuement imposé la loi, et qui leur avoit échappé par une espèce de miracle au moment qu’ils comptoient le plus sûrement de l’avoir enfin subjugué, se continrent avec plus de bienséance que les François. Les merveilles des trois premiers quarts de ce règne de plus de soixante-dix ans, et la personnelle magnanimité de ce roi jusqu’alors si heureux, et si abandonné après de la fortune pendant le dernier quart de son règne, les avoit justement éblouis. Ils se firent un honneur de lui rendre après sa mort ce qu’ils lui avoient constamment refusé pendant sa vie. Nulle cour étrangère n’exulta ; toutes se piquèrent de louer et d’honorer sa mémoire.

L’empereur en prit le deuil comme d’un père ; et quoiqu’il y eût quatre ou cinq mois depuis la mort du roi jusqu’au carnaval, toute espèce de divertissement fut défendu