Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/11

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jours l’avoine à ses chevaux ; venue à Paris à sa suite, jeune, adroite, spirituelle et belle, sans pain et sans parents, d’heureux hasards la firent connoître au fameux Scarron. Il la trouva aimable, ses amis peut-être encore plus. Elle crut faire la plus grande fortune, et la plus inespérable d’épouser ce joyeux et savant cul-de-jatte, et des gens qui avoient peut-être plus besoin de femme que lui l’entêtèrent de faire ce mariage, et vinrent à bout de lui persuader de tirer par là de la misère cette charmante malheureuse.

Le mariage se fit, la nouvelle épouse plut à toutes les compagnies qui alloient chez Scarron. Il la voyoit fort bonne, et en tous genres ; c’étoit la mode d’aller chez lui, gens d’esprit, gens de la cour et de la ville, et ce qu’il y avoit de meilleur et de plus distingué, qu’il n’étoit pas en état d’aller chercher hors de chez lui, et que les charmes de son esprit, de son savoir, de son imagination, de cette gaieté incomparable parmi ses maux, et toujours nouvelle, cette rare fécondité, et la plaisanterie du meilleur goût qu’on admire encore dans ses ouvrages, attiroient continuellement chez lui.

Mme Scarron fit donc là des connoissances de toutes les sortes qui pourtant, à la mort de son mari, ne l’empêchèrent pas d’être réduite à la charité de la paroisse de Saint-Eustache. Elle y prit une chambre pour elle et pour une servante dans une montée, où elle vécut très à l’étroit. Ses appas élargirent peu à peu ce mal-être. Villars, père du maréchal ; Beuvron, père d’Harcourt ; les trois Villarceaux qui demeurèrent les trois tenants ; bien d’autres l’entretinrent [1].

Cela la remit à flot, et peu à peu l’introduisit à l’hôtel d’Albret, par là à l’hôtel de Richelieu et ailleurs ; ainsi de l’un à l’autre. Dans ces maisons, Mme Scarron n’étoit rien moins que sur le pied de compagnie. Elle y étoit à tout faire,

  1. Voy. l’Histoire du Mme de Maintenon, par M. de Noailles, et les Œuvres de Mme de Maintenon, publiées par M. Théoph. Lavallée.