Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/16

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en dire la vérité, il n’eut déjà que beaucoup trop donné pour une créature de cette espèce. Jamais M. le maréchal de Lorges n’a oublié ces propres paroles ; et à moi et à d’autres il les a toujours rapportées précises et dans le même ordre, tant il en fut frappé alors, et bien plus à tout ce qu’il vit depuis de si étonnant et de si contradictoire. Mme de Montespan se tut bien court, et bien en peine d’avoir trop pressé le roi.

M. du Maine étoit extrêmement boiteux. On disoit que c’étoit d’être tombé d’entre les bras d’une nourrice. Tout ce qu’on lui fit n’ayant pas réussi, on prit le parti de l’envoyer chez divers artistes en Flandre et ailleurs dans le royaume, puis aux eaux, entre autres à Barèges. Les lettres que la gouvernante écrivoit à Mme de Montespan, pour lui rendre compte de ces voyages, étoient montrées au roi. Il les trouva bien écrites, il les goûta, et les dernières commencèrent à diminuer son éloignement.

Les humeurs de Mme de Montespan achevèrent l’ouvrage. Elle en avoit beaucoup, elle s’étoit accoutumée à ne s’en pas contraindre. Le roi en étoit l’objet plus souvent que personne ; il en étoit encore amoureux, mais il en souffroit. Mme de Maintenon le reprochoit à Mme de Montespan, qui lui en rendit de bons offices auprès du roi. Ces soins d’apaiser sa maîtresse lui revinrent aussi d’ailleurs, et l’accoutumèrent à parler quelquefois à Mme de Maintenon, à s’ouvrir à elle de ce qu’il désiroit qu’elle fît auprès de Mme de Montespan, enfin à lui conter ses chagrins contre elle, et à la consulter là-dessus.

Admise ainsi peu à peu dans l’intime confidence, et sans milieu, de l’amant et de la maîtresse, et par le roi même, l’adroite suivante sut la cultiver, et fit si bien par son industrie, que peu à peu elle supplanta Mme de Montespan, qui s’aperçut trop tard qu’elle lui étoit devenue nécessaire. Parvenue à ce point, Mme de Maintenon fit à son tour ses plaintes au roi de tout ce qu’elle avoit à souffrir d’une maîtresse