Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/17

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qui l’épargnoit si peu lui-même, et à force de se plaindre l’un à l’autre de Mme de Montespan, celle-ci en prit tout à fait la place, et se la sut bien assurer.

La fortune, pour n’oser nommer ici la Providence, qui préparoit au plus superbe des rois l’humiliation la plus profonde, la plus publique, la plus durable, la plus inouïe, fortifia de plus en plus son goût pour cette femme adroite et experte au métier, que les jalousies continuelles de Mme de Montespan rendoient encore plus solide, par les sorties fréquentes que son humeur aigrie lui faisoit faire sans ménagement sur le roi et sur elle, et c’est ce que Mme de Sévigné sait peindre si joliment en énigmes, dans ses lettres à Mme de Grignan, où elle l’entretient quelquefois de ces mouvements de cour, parce que Mme de Maintenon avoit été à Paris assez de la société de Mme de Sévigné, de Mme de Coulange, de Mme de La Fayette, et qu’elle commençoit à leur faire sentir son importance. On y voit aussi dans le même goût des traits charmants sur la faveur voilée, mais brillante, de Mme de Soubise.

Cette même Providence, maîtresse absolue des temps et des événements, les disposa encore, en sorte que la reine vécut assez pour laisser porter ce goût à son comble, et point assez pour le laisser refroidir. Le plus grand malheur qui soit donc arrivé au roi, et les suites doivent faire ajouter à l’État, fut la perte si brusque de la reine, par l’ignorance profonde et l’opiniâtreté du premier médecin Daquin, au plus fort de ce nouvel attachement enté sur le dégoût de la maîtresse, dont les humeurs étoient devenues insupportables, et que nulle politique n’avoit pu arrêter. Cette beauté impérieuse, accoutumée à dominer et à être adorée, ne pouvoit résister au désespoir toujours présent de la décadence de son pouvoir ; et ce qui la jetoit hors de toute mesure, c’étoit de ne pouvoir se dissimuler une rivale abjecte à qui elle avoit donné du pain, qui n’en avoit encore que par elle, qui de plus, lui devoit cette affection qui devenoit son bourreau,