Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/205

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un mémoire fort détaillé, et bien exactement prouvé, sur la déprédation des bois de la marine de Rochefort, où les accusations étoient directes et personnelles sans nul ménagement. De temps en temps le comte de Toulouse interrompoit pour appuyer certains endroits, en faire remarquer d’autres, en commenter quelques-uns avec un air froid et modeste, mais avec la plus grande force, et sans le plus petit égard pour Pontchartrain présent. Il voulut dire quelque chose, mais au premier mot le maréchal d’Estrées lui dit qu’il n’avoit pas droit de parler au conseil, et le fit taire comme un petit garçon, avec toute la hauteur et le mépris possible. Il continua sa lecture tout de suite, et le comte de Toulouse par-ci par-là ses fâcheuses annotations.

Surpris au dernier point d’une telle ignominie en face, j’en dis ma pensée au comte de Toulouse, qui me répondit tout bas aussi, en souriant, que je verrois bien autre chose le lendemain matin. Il tint parole.

Sitôt que nous eûmes pris nos places, le comte de Toulouse tira de sa poche un mémoire dont il fit la lecture, le plus amer, le plus cruel qui fut jamais. Il traitoit la même matière de la veille, et bien d’autres déprédations, les commenta toutes à mesure, insista sur les ordres que Pontchartrain avoit donnés, et qu’il ne pouvoit nier, montra que de propos délibéré il avoit ruiné la marine, et très nettement qu’il ne s’y étoit rien moins que ruiné lui-même.

L’étonnement de chacun fut sans pareil, non du contenu du mémoire qui ne surprit personne pour le fond, mais de ces pointes cruellement acérées à chaque mot, mais du poids qu’y donnoit le lecteur par le sien, et par les réflexions qu’il y faisoit très fréquemment plus dures encore que le texte du mémoire, mais de la présence de Pontchartrain si outrageusement attaqué en face, en sa propre personne, qui paraissoit là pis que sur la sellette, et qui, instruit de la veille par le maréchal d’Estrées, n’osa jamais souffler. La lecture fut terminée par l’aveu que fit le comte de Toulouse d’avoir