Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/21

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qui par sa longue bassesse lui étoit devenu naturel, aidoient merveilleusement ses talents, avec un langage doux, juste, en bons termes, et naturellement éloquent et court. Son beau temps, car elle avoit trois ou quatre ans plus que le roi, avoit été celui des belles conversations, de la belle galanterie, en un mot de ce qu’on appeloit les ruelles ; lui en avoit tellement donné l’esprit, qu’elle en retint toujours le goût et la plus forte teinture. Le précieux et le guindé ajouté à l’air de ce temps-là, qui en tenoit un peu, s’étoit augmenté par le vernis de l’importance, et s’accrut depuis par celui de la dévotion, qui devint le caractère principal, et qui fit semblant d’absorber tout le reste. Il lui étoit capital pour se maintenir où il l’avoit portée, et ne le fut pas moins pour gouverner. Ce dernier point étoit son être ; tout le reste y fut sacrifié sans réserve. La droiture et la franchise étoient trop difficiles à accorder avec une telle vue, et avec une telle fortune ensuite, pour imaginer qu’elle en retînt plus que la parure. Elle n’étoit pas aussi tellement fausse que ce fût son véritable goût, mais la nécessité lui en avoit de longue main donné l’habitude, et sa légèreté naturelle la faisoit paroître au double de fausseté plus qu’elle n’en avoit.

Elle n’avoit de suite en rien que par contrainte et par force. Son goût étoit de voltiger en connoissances et en amis comme en amusements, excepté quelques amis fidèles de l’ancien temps dont on a parlé, sur qui elle ne varia point, et quelques nouveaux des derniers temps qui lui étoient devenus nécessaires. À l’égard des amusements, elle ne les put guère varier depuis qu’elle se vit reine. Son inégalité tomba en plein sur le solide, et fit par là de grands maux. Aisément engouée, elle l’étoit à l’excès ; aussi facilement déprise, elle se dégoûtoit de même, et l’un et l’autre très souvent sans cause ni raison.

L’abjection et la détresse où elle avoit si longtemps vécu lui avoit rétréci l’esprit, et avili le cœur et les sentiments.