Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/245

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et ses grands distingués de tous par leurs prérogatives, tant les monarchies que les républiques, dans toutes les parties de l’univers et dans tous les siècles ; s’ils prétendoient que cela fût abrogé en France, où, comme partout ailleurs, sous quelque nom que ç’ait été, il y en avoit toujours eu ; s’ils vouloient dépouiller le roi du droit d’accorder ces grandes récompenses, et eux-mêmes et les leurs de l’espérance d’y arriver ; enfin ôter toute émulation, toute ambition, toute envie de servir l’État et ses rois, puisque, en détruisant les dignités, il ne pouvoit plus y avoir de distinction ni de préférence ; que de l’un à l’autre personne ne voudroit céder à un autre, et s’estimer inférieur à lui en noblesse, dont chacun ne pouvoit porter les titres sous son bras pour prouver l’antiquité de la sienne par-dessus celle d’un autre. Toutes ces raisons, et une foule d’autres que je tais, les accabloient et les rendoient muets en raisons, et furieux en effet, jusque-là qu’il y en eut, et de grand nom, que je veux bien taire, qui ne purent s’empêcher d avouer que tout ce qu’on leur opposoit étoit vrai ; mais que, n’espérant pas d’être ducs, ils en vouloient éteindre la dignité, et rendre égaux tout le monde. Voilà jusqu’où le fanatisme fut poussé.

M. le duc d’Orléans, qui espéroit de tout ce bruit que les ducs, trop attaqués, lui donneroient plus de relâche sur leur affaire avec le parlement, étoit si peu contraire à ces folies qu’il avoit permis à ses premiers officiers de s’y joindre, dont M. de Châtillon étoit le plus ardent. Je représentai vainement à Son Altesse Royale le danger d’une tolérance qui portoit à une sorte de révolte de gens du plus grand nom mêlés avec gens du plus bas, qui se devoient dire sans aveu que d’eux-mêmes, s’attrouper, s’engager les uns aux autres en union par leurs signatures, envoyer des lettres circulaires dans les provinces, s’ériger en réformateurs, ou plutôt en refondeurs de l’État, sans avoir pu articuler la preuve d’aucune de leurs plaintes contre les ducs, et sans