Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/379

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point de faire successivement jouer pour parvenir à jeter du froid, puis de la division entre les deux couronnes ; que la paix, qui enfin avoit terminé la longue, ruineuse et sanglante guerre causée par la succession d’Espagne, n’en avoit pas éteint l’extrême jalousie, ni par conséquent amorti le moins du monde la passion de les brouiller et de les désunir ; que toutes regardoient ce point comme le but de leur plus grand intérêt et comme un ouvrage auquel leur concert et leur politique ne devoit jamais se lasser de travailler ; que pour cela tous les partis spécieux, toutes les propositions éblouissantes, toutes les perspectives de crainte et de danger seroient sans cesse employées dans l’une et l’autre cour, même des réalités qui, jusqu’à un certain point, seront offertes et réputées à gain d’être acceptées, sachant bien quel grand intérêt à en retirer ; que le moyen de déconcerter tant de suite est d’en avoir soi-même à tenir les yeux bien ouverts, et de refuser toute espèce d’avantage, quelque considérable qu’il pût être offert, qui pourroit entraîner de la division avec l’Espagne ; se rendre inaltérable sur ce point capital ; se mettre avec l’Espagne sur un pied d’assez de confiance pour s’entre-communiquer toutes ces diverses tentatives et en profiter pour resserrer de plus en plus l’étroite et indissoluble union ; que cette conduite avoit été celle des deux branches d’Autriche depuis Charles-Quint jusqu’au prédécesseur de Philippe V ; que c’est ce qui avoit porté leur puissance à un si haut point, et une leçon a prendre dans nos deux branches sans s’en écarter jamais ; enfin que la facilité en étoit d’autant plus grande, qu’il n’y avoit rien à craindre pour la sûreté des courriers, et parce que le roi d’Espagne avoit le cœur entièrement françois.

J’ajoutai, parce que le régent et moi étions tête-à-tête, comme il arrivoit presque toujours, qu’après le paquet de son affaire d’Espagne, et sa réconciliation, de plus dans sa position personnelle par rapport aux renonciations, rien ne lui tourneroit personnellement plus à bien ou à mal en