Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/416

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répondre un mot ; mais à la dernière, il dit au duc de Charost, près duquel il étoit assis, que je le poussois de façon que je l’obligerois d’en avoir raison l’épée à la main : raison, il ne l’a ni eue ni même demandée, et l’épée est demeurée doucement dans son fourreau. Partout il me saluoit d’une façon très marquée ; je le regardois un peu hagardement, et passois sans m’incliner le moins du monde ; et de part et d’autre cela se répétoit sans jamais y manquer, partout où nous nous rencontrions ; quelque accoutumé qu’on y fût, c’étoit un spectacle. Si je passois près de lui, il se rangeoit aussitôt sans que je daignasse y prendre garde ; et jamais nous ne nous parlions qu’en conseil sur les affaires, et tout haut, devant tout le monde, sèchement et laconiquement de ma part, de la sienne avec toute la politesse, je n’oseroit dire l’air de respect, l’onction et la circonspection qu’il y pouvoit mettre.

Il vint une fois au conseil de régence un jour de conseil d’État, sous prétexte d’une affaire de finance pressée. Le conseil étoit un peu commencé ; il fit dire au régent qu’il étoit à la porte ; il le fit entrer. Je me levai parce que tout le conseil se leva ; il s’assit au-dessous de moi, tout près de moi, et se mit à débiter ce qui l’amenoit, qui n’étoit pas grand’chose. Comme il achevoit, je dis à l’oreille au comte de Toulouse que je joignois de l’autre côté, que le duc de Noailles avoit pris ce prétexte pour tenter de demeurer au conseil. « Je le croirois bien comme vous, me répondit-il en souriant. — Oh ! bien, répliquai-je, nous allons voir, laissez-moi faire. » Tout ce qui regardoit la finance achevé, le duc de Noailles demeura, et après quelques moments d’intervalle M. le duc d’Orléans regarda le maréchal d’Huxelles et lui dit : « Allons, monsieur, continuons. » M. de Troyes lisoit les dépêches pour soulager le maréchal, parce qu’il avoit la voix et la prononciation bonnes, et qu’il lisoit fort bien. Il commença ; au second mot, je l’interrompis et je lui dis : « Attendez donc, monsieur ; voilà M. de