Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/471

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desseins trop élevés ; elle demande plus de sagacité dans des temps difficiles que n’en ont les Noailles, les Orry, les Amelot, » etc.

« 9 avril 1743. — La survenue du maréchal de Noailles dans le conseil rend la vie très dure aux ministres. Ce n’est pas un premier ministre, mais c’est un inspecteur importun qui leur a été donné et qui se mêle de tout, quoiqu’il ne soit le naître de rien. On assure que cela a été inspiré au roi par M. Orry ou par Bachelier. »

— « Le maréchal de Noailles a rendu au roi, quelques jours après la mort du cardinal [de Fleury], une lettre de Louis XIV, lettre très longue, toute écrite par ce monarque, et peu de jours avant l’extrémité de la maladie dont il mourut. Cette lettre avoit été remise à Mme de Maintenon, pour la rendre par quelqu’un de sûr au roi son petit-fils et successeur.

« Il lui disoit que cette lettre ne lui devoit être rendue que quand il pourroit l’entendre, et quand il commenceroit à gouverner réellement par lui-même. Louis XIV y disoit qu’ayant longtemps gouverné, il pouvoit lui donner des avis tirés d’une profonde expérience ; qu’il avoit fait plusieurs grandes choses, mais qu’il avoit fait quantité de sottises ; qu’il lui donnoit avis de s’appliquer principalement au choix des ministres ; que quand il commenceroit à gouverner, il laissât quelque temps en place les ministres qu’il y trouveroit, pour les mieux connoître et faire ensuite des choix plus sûrs ; qu’il se gardât bien de prendre jamais de premier ministre ; que, dans les commencements, il composât son conseil de plusieurs personnes habiles, et qu’il n’y craignit point la multitude ; que même les gens d’imagination [1] y seroient utiles, pourvu qu’ils fussent gens de probité, parce qu’ils feroient naître des idées. »

« Cette lettre ayant été transmise de Mme de Maintenon au maréchal de Noailles, c’est par là que celui-ci a été choisi pour ministre, son caractère se trouvant quasi désigné par ce dernier trait. »

« 21 mai 1743. — Lui [Belle-Isle] et le maréchal de Noailles se sont tout à fait raccommodés ensemble par l’entremise de Bachelier [2]. Le Noailles est un bon homme ; il n’y en a point de meilleur ; mais il est bilboquet ; il sera bien avec tout le monde, et ne décidera jamais de rien. »

« 30 juillet 1743. — Le duc de Grammont et la timidité du duc de Noailles a rendu notre honte irrémédiable à Dettingen [3]. Nous sommes sans ressources et à la merci de nos ennemis, qui n’ont plus à mesurer notre destruction que sur leurs désirs. »

  1. Souligné dans le manuscrit.
  2. Premier valet de chambre du roi.
  3. La bataille de Dettingen fut livrée le 27 juillet 1743.