Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/89

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témoins, échappe bientôt à la connoissance de la postérité, et que l’expérience nous apprend que nous regrettons de ne trouver personne qui se soit donné une peine pour leur temps si ingrate, mais, pour la postérité, curieuse, et qui ne laisse pas de caractériser les princes qui ont fait autant de bruit dans le monde que celui dont il s’agit ici. Quoiqu’il soit difficile de ne pas tomber en quelques redites, je m’en défendrai autant qu’il me sera possible.

Je ne parlerai point de la manière de vivre du roi quand il s’est trouvé dans ses armées. Ses heures y étoient déterminées par ce qui se présentoit à faire, en tenant néanmoins régulièrement ses conseils ; je dirai seulement qu’il n’y mangeoit soir et matin qu’avec des gens d’une qualité à pouvoir avoir cet honneur. Quand on y pouvoit prétendre, on le faisoit demander au roi par le premier gentilhomme de la chambre en service. Il rendoit la réponse, et dès le lendemain, si elle étoit favorable, on se présentoit au roi lorsqu’il alloit dîner, qui vous disoit : « Monsieur, mettez-vous à table. » Cela fait, c’étoit pour toujours, et on avoit après l’honneur d’y manger quand on vouloit, avec discrétion. Les grades militaires, même d’ancien lieutenant général, ne suffisoient pas. On a vu que M. de Vauban, lieutenant général si distingué depuis tant d’années, y mangea pour la première fois à la fin du siège de Namur, et qu’il fut comblé de cette distinction, comme aussi les colonels de qualité distinguée y étoient admis sans difficulté. Le roi fit le même honneur à Namur à l’abbé de Grancey, qui s’exposoit partout à confesser les blessés et à encourager les troupes. C’est l’unique abbé qui ait eu cet honneur. Tout le clergé en fut toujours exclu, excepté les cardinaux et les évêques-pairs, ou les ecclésiastiques ayant rang de prince étranger. Le cardinal de Coislin, avant d’avoir la pourpre, étant évêque d’Orléans, premier aumônier et suivant le roi en toutes ses campagnes ; et l’archevêque de Reims qui suivoit le roi comme maître de sa chapelle, y voyoit manger le duc et le chevalier de Coislin, ses