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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/119

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jusque-là que son beau-père le craignoit, lui qui se faisoit redouter de tout le mande. Il se piquoit avec cela de la plus haute impiété et de la plus raffinée débauche, pourvu qu’il ne lui en coûtât rien, quoique fort riche. Je n’ai guère vu face d’homme mieux présenter celle d’un réprouvé que la sienne ; cela frappoit. Un gendre de Voysin ne devoit pas être un titre pour entrer dans la familiarité de M. le duc d’Orléans, qui peut-être de tout le règne du feu roi ne lui avoit jamais parlé. Je ne sais qui le lui produisit, car sa petite cour obscure, qu’il appeloit ses roués et que le monde ne connoissoit point sous d’autre nom, me fut toujours parfaitement étrangère. Mais Broglio s’y initia si bien qu’il fut de tous les soupers, et que de là il se mit à parler troupes en d’autres temps au régent, sous prétexte de la connoissance que leur usage et son inspection lui en avoit donnée. Il s’ouvrit ainsi quelquefois le cabinet où on lui voyoit porter un portefeuille. De ce travail, qui dura quelque temps deux et trois fois la semaine, sortit une augmentation de paye de six deniers par soldat, avec un profit dessus pour chaque capitaine d’infanterie, qui coûtèrent au roi pour toujours sept cent mille livres par an. Il capta pour cela quelques gens du conseil de guerre qui n’osèrent s’y opposer, dans la certitude que Broglio n’eût rien oublié pour s’en faire un mérite dans les troupes à leurs dépens, mais dont presque tout ce conseil et le public entier cria beaucoup, dans un temps de paix et de désordre des finances qui ne pouvoient suffire aux plus pressants besoins.

Broglio comptoit bien se continuer du travail, et devenir par là un personnage, et il avoit persuadé le régent que les troupes l’alloient porter sur les pavois. Tous deux se trompèrent lourdement M. le duc d’Orléans, par une augmentation fort pesante aux finances, qui ne se pouvoit plus rétracter, qui ne tint lieu de rien, et dont le [gros] des troupes ne s’aperçut seulement pas ; Broglio en ce qu’il ne mit plus le pied dans le cabinet pour aucun travail, et qu’il demeura