Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/129

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instamment qu’elle hivernât dans quelque port de la côte de Gênes, pour l’avoir plus tôt au printemps ; tout à coup elle fit voile pour Cadix. En même temps Albéroni accabla le pape de protestations de n’avoir jamais d’autres volontés que les siennes, et d’assurances que les vaisseaux pour hiverner à Cadix n’en seroient pas moins promptement au printemps dans les mers d’Italie ; en même temps il dépeignoit la reine d’Espagne comme n’étant pas si docile, avec toutes les couleurs les plus propres pour faire tout espérer de son attachement naturel au saint-siège, de son affection pour la personne du pape, de la bonté de son cœur très reconnoissant, et tout craindre de son pouvoir absolu en Espagne, si elle se voyoit amusée et moquée, sur quoi il n’y avoit point de retour à espérer. Ce portrait étoit vif quoique long ; il étoit fait pour être vu du pape ; et il n’y avoit rien d’oublié sur l’entière possession où Albéroni étoit de la confiance de la reine. Il obtint une lettre de sa main au cardinal Acquaviva, par laquelle elle lui ordonnoit de presser le pape de sa part de le promouvoir incessamment. Cette lettre faisoit valoir ses mérites envers le saint-siège, et assuroit que les résolutions importantes qui restoient encore à prendre pour la perfection de l’ouvrage commencé dépendoient de cette promotion. La reine s’abaissoit à dire qu’indépendamment de ce qu’elle étoit, et de l’intérêt qu’avoit le pape de lui accorder ce qu’elle lui demandoit avec tant d’instance, elle croyoit pouvoir se flatter qu’en considération d’une dame il sortiroit des règles générales. Enfin elle promettoit au pape et à sa maison une reconnoissance éternelle, et que le roi d’Espagne, content de la promotion d’Albéroni, garderoit le silence sur celle des couronnes. En envoyant cette lettre qui devoit être montrée au pape, le premier ministre, honteux de son impatience, faisoit entendre de grandes idées qu’il étoit chargé d’exécuter, dont la reine, prévoyant les suites, ne vouloit pas l’y exposer sans armes dans un pays où l’agitation étoit grande ;