Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/283

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au gré des constitutionnaires, qui est la chose qui blesse le plus les parlements, la totalité de la magistrature, tout le public même le plus neutre et le plus indifférent, et ce qui le révolte encore plus sans mesure ; Si vous continuez et redoublez même, comme l’extrémité où les choses se portent vous y forceront, les exils, les prisons, les saisies de temporel, les inouïs expatriments, les privations d’emplois et de bénéfices ; qui aurez-vous pour vous, si le malheureux cas arrive, de l’un ou de l’autre parti, ou, s’il en reste encore, dans les termes où on viennent les choses, des neutres et des indifférents ? »

Je m’arrêtai là et n’en voulus pas dire davantage, pour juger de l’impression que j’avois faite. Elle passa mon espérance sans toutefois me rassurer ; je vis un homme pénétré de l’évidence de mes raisons (il ne fit pas difficulté de me l’avouer) ; en même temps en brassière et dans l’embarras d’échapper à ceux que j’ai nommés, et qui, dans ces moments critiques de laisser aller le cours aux appels ou de les arrêter, se relayoient pour ne le pas perdre de vue. Il raisonna sur l’état présent de l’affaire et les inconvénients des deux côtés ; il convint de toute la force de ce que je lui avois représenté. Je ne disois alors que quelques mots de traverse pour le laisser parler, et le bien écouter ; et je ne vis qu’un homme, convaincu à la vérité, et de son aveu, sans réponse à pas une des raisons que je lui avois représentées, mais un homme dans les douleurs de l’enfantement. Nous en étions là, quand la toile tomba. Nous fûmes tous deux surpris et fâchés de la fin du spectacle. Malgré le brouhaha qu’il produisit par l’empressement de chacun pour sortir, nous demeurâmes encore quelques moments sans pouvoir cesser cette conversation. Je la finis on lui disant que le nonce ne le connoissoit que trop bien quand il disoit que le dernier qui lui parloit avoit raison ; que je l’avertissois qu’il étoit veillé par des gens qu’il se croyoit affidés et qui ne l’étoient qu’à eux-mêmes, à leurs vues, à leurs intrigues, à leurs