Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/409

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jeter dans un profond précipice, et me remercia fort de mon travail, et de l’en empêcher. Il lui échappa même dans le raisonnement qu’il étoit si pressé de l’embarras des finances et de celui de l’affaire des princes, et si rebattu par ceux qui vouloient les états, qu’il y étoit intérieurement rendu comme à sa seule ressource et à son repos, d’où je jugeai que de cette résolution intérieure à l’extérieure le pas étoit bien court, et bien facile avec les gens à qui il avoit affaire, et qu’il n’y avoit eu en effet rien de si pressé que mon mémoire pour l’en détourner. Ses yeux ne pouvoient lire ma petite écriture courante et pleine d’abréviations, quoique fort peu sujette aux ratures et aux renvois. Il me pria de lui faire faire une copie du mémoire, et de la lui donner dès qu’elle seroit faite. Il me parut si convaincu que je lui demandai sa parole que le pied ne lui glisseroit en aucune façon sur les états avant que je lui eusse remis cette copie, et qu’il se fût donné le temps de la lire à reprises, et d’y réfléchir à loisir. Je fis donc travailler, dès le lendemain matin, à une copie unique, car c’est sur mon original que je l’ai copié ici ; et, dès que cette copie fut faite, je la portai à M. le duc d’Orléans. Nous raisonnâmes encore là-dessus, mais sans détail, parce qu’il me parut que son parti étoit bien pris de ne vouloir point d’états.

Je ne sais quel usage il fit de mon mémoire ; mais, au bout de sept ou huit jours, il ne se parla plus du tout d’états généraux, dont le bruit avoit été fort grand et fort répandu, et, ce qui me fit grand plaisir encore, c’est qu’il ne se dit pas un mot du mémoire ni de moi à cette occasion.

Ce qui m’a le plus convié à ne pas rejeter ce mémoire, malgré sa longueur, parmi les Pièces, c’est qu’il s’y trouve plusieurs choses sur les finances qui donnent une idée de leur état, de leur gestion et des embarras qui s’y trouvoient, dont il n’est guère parlé ailleurs ici ; et de même de quelque chose sur la constitution, qui seront toujours à éclaircir, et qui sont deux matières dont on a vu, il y a longtemps que