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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/431

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accompagné qu’il pût être, on ne s’y pouvoit méprendre à l’air de grandeur qui lui étoit naturel.

Ce qu’il buvoit et mangeoit en deux repas réglés est inconcevable, sans compter ce qu’il avaloit de bière, de limonade et d’autres sortes de boissons entre les repas, toute sa suite encore davantage ; une bouteille ou deux de bière, autant et quelquefois davantage de vin, des vins de liqueur après, à la fin du repas des eaux-de-vie préparées, chopine et quelquefois pinte. C’étoit à peu près l’ordinaire de chaque repas. Sa suite à sa table en avaloit davantage, et [ils] mangeoient tous à l’avenant à onze heures du matin et à huit du soir. Quand la mesure n’étoit pas plus forte, il n’y paraissoit pas. Il y avoit un prêtre aumônier qui mangeoit à la table du czar, plus fort de moitié que pas un, dont le czar, qui l’aimoit, s’amusoit beaucoup. Le prince Kurakin alloit tous les jours à l’hôtel de Lesdiguières ; mais il demeura logé chez lui.

Le czar entendoit bien le françois, et, je crois, l’auroit parlé s’il eût voulu ; mais, par grandeur, il avoit toujours un interprète. Pour le latin et bien d’autres langues, il les parloit très bien. Il eut chez lui une salle des gardes du roi, dont il ne voulut presque jamais être suivi dehors. Il ne voulut point sortir de l’hôtel de Lesdiguières, quelque curiosité qu’il eût, ni donner aucun signe de vie, qu’il n’y eût reçu la visite du roi.

Le samedi matin, lendemain de son arrivée, le régent alla voir le czar. Ce monarque sortit de son cabinet, fit quelques pas au-devant de lui, l’embrassa avec un grand air de supériorité, lui montra la porte de son cabinet, et, se tournant à l’instant sans nulle civilité, y entra. Le régent le suivit, et le prince Kurakin après lui, pour leur servir d’interprète. Ils trouvèrent deux fauteuils vis-à-vis l’un de l’autre ; le czar s’assit en celui du haut bout, le régent dans l’autre. La conversation dura près d’une heure, sans parler d’affaires, après quoi le czar sortit de son cabinet, le régent après