Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/44

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quoiqu’il se remit par bouffées de fantaisie par-ci par-là dans le grand monde, dont il étoit toujours bien reçu du gros, l’obscurité de son goût l’en retiroit bientôt dans l’obscurité de sa déraison, où il demeuroit des années sans reparaître. Quoique le désordre de sa vie ne fût pas du même genre que celui de M. le duc d’Orléans, ce prince s’étoit toujours plu avec lui, et, devenu le maître, avoit continué à l’admettre et à le désirer dans ses soupers et dans sa familiarité. Il n’en étoit pourtant guère plus ménagé que les autres. Il disoit de lui qu’il gouvernoit et menoit les affaires comme un espiègle ; et pressé outre mesure par un homme de province d’obtenir je ne sais quoi, et qui, comme ces gens-là ne manquent jamais de faire, lut disoit qu’on savoit bien qu’il pouvoit tout, il lui répondit d’impatience : « Eh bien ! monsieur, il est vrai, puisque vous le savez, je ne vous le nierai point, M. le duc d’Orléans me comble de bontés, et veut tout ce que je lui demande ; mais le malheur est qu’il a si peu de crédit auprès du régent, mais si peu, si peu, que vous en seriez étonné, que c’est pitié, et qu’on n’en peut rien espérer par cette voie. » Le premier n’étoit pas mal vrai, et il le dit à M. le duc d’Orléans lui-même. Ce prince sut le second qui n’étoit pas tout à fait faux, et il rit de tout son cœur de tous les deux. Brancas disoit de soi-même au régent qu’il n’avoit point de secret ; qu’il se gardât bien de lui rien confier ; qu’il n’avoit point aussi l’esprit d’affaires, qu’elles l’ennuieroient, qu’il ne vouloit que se divertir et s’amuser. Cela mettoit M. le duc d’Orléans à l’aise avec lui, qui ne pouvoit assez l’avoir dans ses heures obscures et dans ses soupers. Il y disoit de soi et des autres tout ce qui lui passoit par la tête, avec beaucoup de cette sorte d’esprit et de liberté ; et ses dires revenoient après par les autres soupeurs, qui s’en divertissoient aux dépens de qui il appartenoit.

On a vu ailleurs comment et à qui il avoit marié son fils aîné, ou plutôt vendu pour de l’argent qu’il en avoit tiré