Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/8

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abstraction de ce que la religion dictoit là-dessus, je me contenterois de lui parler un langage qui lui seroit plus propre. Je lui représentai les désordres et les guerres civiles dont les huguenots avoient été cause en France depuis Henri II jusqu’à Louis XIII ; combien de ruines et de sang répandu ; qu’à leur ombre la Ligue s’étoit formée, qui avoit été si près d’arracher la couronne à Henri IV ; et tout ce qu’il en avoit coûté en tout genre aux rois et à l’État, et pour les huguenots et pour les Ligueurs, les uns et les autres appuyés des puissances étrangères, desquelles il falloit tout souffrir, tandis qu’elles nous méprisoient, et savoient profiter de nos misères, au point que Henri IV n’a dû sa couronne qu’au nombre de ceux qui prétendoient l’emporter chacun pour soi : le duc de Guise, le fils du duc de Mayenne, le marquis du Pont [1], l’infante fille de Philippe II, et jusqu’au duc Charles-Emmanuel de Savoie, et ensuite à sa valeur et à sa noblesse. Je lui fis sentir ce que c’étoit, dans les temps les moins tumultueux et les plus supportables, que des sujets qui, en changeant de religion, se donnoient le droit de ne l’être qu’en partie, d’avoir des places de sûreté, des garnisons, des troupes, des subsides ; un gouvernement particulier, organisé, républicain ; des privilèges, des cours de justice [2] érigées exprès pour leurs affaires, même avec les catholiques ; une société de laquelle tous ses membres dépendoient ; des chefs élus par eux, des correspondances étrangères, des députés à la cour sous la protection du droit des gens ; en un mot, un État dans un État, et qui ne dépendoient du souverain que pour la forme, et autant ou si peu que, bon leur sembloit ; toujours en plaintes et prêts à reprendre les armes, et les reprenant toujours très dangereusement pour l’État.

Je lui remis levant les yeux toutes les peines qu’ils

  1. Fils du duc de Lorraine et de Claude de France.
  2. Ces cours de justice s’appelaient chambres de l’édit, en souvenir le l’édit de Nantes qui les avait établies.