Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rentré en faveur en Espagne à son retour de France, ni sorti de l’abîme où il étoit tombé. Il lui reprochoit la licence avec laquelle il tomboit sur le gouvernement ; il publioit qu’il étoit si bien connu en France qu’on y prévoyoit généralement sa disgrâce. Il ouvroit les lettres de la poste de Madrid, et on crut qu’il le faisoit de sa propre autorité, à l’insu du roi d’Espagne. Il y trouva une lettre de l’ambassadeur de Sicile au roi son maître qui, lui rendant compte d’une longue conférence qu’il avoit eue avec Giudice, [disoit que] ce cardinal, après beaucoup de protestations d’attachement, l’avoit averti de ne faire aucun fond sur la cour de Madrid tant que le crédit d’Albéroni subsisteroit, parce que le duc de Parme dont il étoit ministre ne songeoit qu’à gagner et conserver les bonnes grâces de l’empereur, et par conséquent ne consentiroit jamais que l’Espagne fît aucun pas pour les princes d’Italie. Albéroni porta cette lettre au roi d’Espagne, qu’il eut la satisfaction de mettre fort en colère contre Giudice. Tant d’autorité n’empêchoit [pas] ses alarmes sur les François qui étoient à Madrid, bien plus fortes sur des Parmesans abjects que de fois à autre la reine vouloit faire venir. Il n’osoit lui montrer aucune opposition là-dessus, mais il redoubloit ses mesures auprès du duc de Parme pour rompre ces voyages par lui. La sauté du roi d’Espagne menaçoit, son estomac étoit, en grand désordre. Albéroni l’engagea à consulter un médecin sarde qui convint avec le premier médecin des remèdes qu’il falloit employer, en présence de la reine et d’Albéroni seuls. Ce mystère, joint aux propos scandaleux de Burlet sur la santé du prince des Asturies, en fit tenir des plus étranges, non seulement aux gens du commun, mais aux plus élevés, jusqu’à publier que la reine travailloit à porter son fils aîné don Carlos sur le trône. Giudice, outré de sa disgrâce, dont il se prenoit uniquement à Albéroni, ne l’épargna pas en cette occasion, ni Albéroni le cardinal en mauvais offices et en accusations d’accréditer la licence et les mensonges