Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que l’Espagne, ou gagneroit un royaume, ou, ne réussissant pas, se retrouveroit au même état qu’auparavant. Le ressentiment de l’empereur inutile contre elle ne pouvant retomber que sur l’Italie, peu de gens pensoient que la France y prît part ; on la jugeoit plus occupée de ses affaires domestiques qu’à se mêler d’affaires qui lui étoient étrangères, et qui étoient capables de l’entraîner dans une nouvelle guerre. Enfin, la plupart jugeoient que le projet étoit communiqué au roi de Sicile, qui agiroit de concert avec d’autres princes d’Italie dans la même ligue.

L’ambassadeur de ce prince à Madrid en pensoit bien différemment ; il étoit persuadé que l’entreprise regardoit plus la Sicile que la Sardaigne, et se fondoit sur l’impénétrable secret qui en couvroit les desseins, Patiño et don Miguel Durand, secrétaire d’État pour la guerre, étant les deux seuls dont Albéroni se fût servi. Lorsque l’affaire éclata Aldovrandi et Mocenigo, destiné ambassadeur de Venise, allèrent trouver Albéroni au Prado à qui ils représentèrent fortement les malheurs qu’il alloit attirer sur l’Italie s’il donnoit à l’empereur un sujet légitime de rompre la neutralité. Albéroni leur répondit seulement qu’il étoit étonné de voir deux hommes aussi consommés ajouter foi aux chansons de Madrid, et les assura que l’escadre étoit destinée et seroit employée au service du pape et de la république. Tous deux se contentèrent de cette réponse.

Enfin, la nouvelle de l’entreprise devenue publique, à n’en pouvoir plus douter, elle fut universellement blâmée et ses suites prédites comme funestes à l’Europe. Le secrétaire d’Angleterre s’éleva tellement contre, à Madrid, qu’il effaça tout soupçon de concert avec l’Angleterre. Riperda en fit autant d’abord, mais il changea depuis. Les ministres étrangers disoient tout haut qu’Albéroni ne se soucioit pas d’allumer une nouvelle guerre pourvu qu’il rendît son nom glorieux.

Ce premier ministre auroit bien désiré que sa promotion