Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

lumières infinies ; nulle passion incorporelle, et les autres sans aucune prise sur son secret, ni sur son administration ; discernement exquis, défiance extrême, facilité surprenante de travail, compréhension vive, une éloquence naturelle et noble, avec une justesse et une facilité incomparable de parler en tout genre ; infiniment d’esprit, et je l’ai dit ailleurs, un sens si droit et si juste, qu’il ne [se] seroit jamais trompé si en chaque affaire et en chaque chose il avoit suivi la première lumière et la première appréhension de son esprit. Personne n’a jamais eu tant ni une si longue expérience que lui et l’abbé Dubois ; personne aussi ne l’a-t-il jamais si bien connu ; et quand je me rappelle ce qu’il m’en a dit dans tous les temps de ma vie et dans le moment même qu’il le déclara premier ministre, et encore depuis, il m’est impossible de comprendre ce qu’il en a fait, et l’abandon total où il s’est mis de lui. On en verra encore d’étranges traits dans la suite. Il est inutile de reprendre ici ce qu’on a vu dans ces Mémoires de l’infime bassesse, des serviles et abjects commencements, de l’esprit, des mœurs, du caractère de l’abbé Dubois, des divers degrés qui le tirèrent de la boue, et de sa vie jusqu’à la régence de M. le duc d’Orléans. On l’a même conduit plus loin : on a exposé son profond projet d’arriver à tout par Stanhope et par l’Angleterre ; le commencement de son exécution par son adresse et ses manèges à infatuer le régent du besoin réciproque que le roi d’Angleterre et lui auroient l’un de l’autre ; enfin ces Mémoires l’ont conduit à Hanovre et à Londres, et c’est ce fil qu’il ne faut pas perdre de vue depuis son commencement. Voilà donc M. le duc d’Orléans totalement livré à un homme de néant, qu’il connoissoit pleinement pour un cerveau brûlé, étroit, fougueux outre mesure ; pour un fripon livré à tout mensonge et à tout intérêt, à qui homme vivant ne s’étoit jamais fié, perdu de débauches, d’honneur, de réputation sur tous chapitres, dont les discours et les manières n’avoient rien que de rebutant, et qui sentoit le faux en tout