Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/330

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sur la régence, non qu’il y, eût aucune apparence de mauvaise santé dans M. le duc d’Orléans, mais qu’enfin on promenoit son imagination sur des choses plus éloignées, à la vie que ce prince menoit, trop capable de le tuer, ce qu’il regarderoit comme le plus grand malheur qui pût arriver à l’État et à lui-même. Je lui répondis que je n’userois d’aucun détour, pourvu qu’il me promît un secret inviolable ; et après qu’il m’en eût donné sa parole, je lui dis qu’il y avoit une loi pour l’âge de la majorité très singulière, mais qui avoit été reconnue si sage, par les inconvénients plus grands auxquels elle remédioit que ceux dont elle est susceptible, que la solennité avec laquelle un des plus sages de nos rois l’avoit faite et l’heureuse expérience l’avoit tournée en loi fondamentale de l’État, dont il n’étoit plus permis d’appeler, et qui depuis Charles IX avoit encore été interprétée d’une année de moins. Mais que pour les régences n’y en ayant aucune, il falloit suivre la loi commune du plus proche du sang, dont l’âge n’eût plus besoin de tuteur pour lui-même ; conséquemment qu’il n’y avoit que lui par qui, en cas de malheur ; la régence pût être exercée. « Vous me soulagez infiniment, me répondit M. le Duc, d’un air ouvert et de joie, car je ne vous dissimulerai pas que je sais qu’on pense à M. le duc de Chartres ; que Mme la duchesse d’Orléans a cela dans la tête, qu’elle y travaille, qu’il y a cabale toute formée pour cela, et qu’on m’avoit assuré que vous étiez à la tête. » Je souris et voulus parler ; mais il continua avec précipitation : « J’en étois fort fâché, dit-il, non que je sois en peine de mon droit, mais il y a de certaines gens qu’on est toujours fâché de trouver en son chemin, et je n’étois pas surpris de vous, parce que je sais combien vous êtes des amis de Mme la duchesse d’Orléans. Je vous voyois outre cela en grande liaison avec M. le comte de Toulouse ; vous parlez toujours tous deux au conseil, quelquefois en particulier, devant ou après, et on parle aussi en ce cas de faire le comte de Toulouse lieutenant général du royaume, et Mme la duchesse d’Orléans