Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/331

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tutrice de son fils. J’ai cru que vous étiez par elle réuni aux bâtards, et fort avant dans toutes ces vues. Toute notre conversation m’a montré avec un grand plaisir que vous ne tenez point aux bâtards ; et cela m’a encouragé à vous parler du reste dont j’ai une extrême joie de m’être expliqué librement avec vous. »

Je souris encore : « Monsieur, interrompis-je enfin, expliquez-vous davantage, on m’aura donné à vous comme une manière d’ennemi ; vous voyez ce qui en est, et de quelle façon j’ai l’honneur de vous parler. Mais il faut en deux mots ; que vous sachiez que j’ai eu un procès contre feu Mme de Lussan qui étoit une grande friponne, et qu’il fallut démasquer. Je le fis après toutes les mesures possibles de respect que M. le Prince reçut à merveille, et ne s’en mêla point. Mme la Princesse, M. votre père et Mme la Duchesse ne voulurent point m’entendre, ni me voir, ni écouter personne ; rien ne conduit plus loin que le respect méprisé, et il est vrai que je ne me contraignis guère. Je n’ai jamais vu feu M. le Duc depuis chez lui, et point ou fort peu depuis sa mort Mme la Duchesse. Voilà le fait, monsieur, qui m’a brouillé avec l’hôtel de Condé, et qui y aura fait trouver tout le monde enclin à vous mal persuader de moi ; mais défiez-vous de ce qui vous sera dit, et croyez les faits. » Là-dessus, politesses infinies de M. le Duc, désirs de mériter mon amitié, excuses de la liberté qu’il avoit prise, joie pourtant de tout ce qui en résultoit, en un mot rien de plus liant et de moins prince. J’y répondis avec tout le respect que je devois, et puis lui dis : « Voyez-vous, monsieur, il y a déjà quelque temps que je suis dans le monde, je sais aimer avec attachement, mais nul attachement ne m’a encore fait faire d’injustice ni de folie à mon su. Je tâcherai de m’en garder encore, et pour vous tout dire en un mot, je tiens que ce seroit l’un et l’autre que de donner ma voix à M. le duc de Chartres pour la régence, qui dans le malheur possible que nous, espérons qui n’arrivera pas, n’est due qu’à vous seul : voilà