Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/351

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pourtant qu’il m’avouât que c’étoit une de ces vérités qui ne sont pas vraisemblables, qu’un prince de cet âge fît une première sortie, et pour pays étranger si éloigné, sans en rien dire à Mme sa mère ni à lui, et que, faisant cette équipée, il trouvât d’anciens domestiques de la maison pour le suivre sans en avertir, un gentilhomme entre autres, dont il me faisoit l’éloge ; que, de plus, cette sortie étoit arrivée lors du plus opiniâtre déni de justice et de jugement de leur procès avec les bâtards ; que je le suppliois de bien remarquer combien cette circonstance étoit aggravante.

Je vis sourire M. le Duc, autant que l’obscurité me le put permettre, et non seulement il se démêla mal de la réponse, mais je sentis qu’il ne cherchoit pas trop à bien sortir de l’embarras de mon argument. Il sauta à me dire que le tout dépendoit de M. le duc d’Orléans ; qu’un établissement trancheroit tout, et s’échauffant de raisonnement là-dessus, il passa jusqu’à me répondre du retour de son frère, pourvu qu’il fût seulement bien assuré d’un grand gouvernement il me l’avoit déjà dit à l’hôtel de Condé. J’insistai sur sa caution, et quand je l’eus bien prise, je souris à mon tour, et lui prouvai par son dire qu’il sentoit donc bien qu’il étoit maître du retour de son frère, de quelque manière qu’il se fût éloigné de lui. Cette conséquence l’embarrassa davantage ; il allégua des distinctions comme il put, mais toujours buté à un établissement sûr, et donnant pour expédient le dépouillement de M. du Maine.

Là-dessus longs propos, la plupart tenus de part et d’autre dès l’hôtel de Condé. J’insistai principalement sur deux points, le danger des mouvements dans l’état et la considération du comte de Toulouse ; mais rien n’y fit. Je trouvai un homme fermé à ne pas manquer une occasion, peut-être unique, d’aller à son but et à ne se plus fier aux paroles du régent. Il me le répéta vingt fois, convenant que ce qui regardoit le duc du Maine eût été mieux à remettre, mais protestant qu’il ne seroit plus assez sot pour s’y exposer. Il