Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/384

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par équité, à la modération de cette différence, qui, devenue la pomme de la discorde entre les deux frères, rassurera contre eux. Voilà, monsieur, ce que j’imagine aux dépens de mon rang pour le bien de l’État et pour sauver un homme dont le mérite simple m’a captivé ; qu’en pensez-vous ? — Rien de mieux, me dit M. le Duc, mon amitié y trouve son compte ; et en effet le comte de Toulouse sera bien embarrassé. S’il refuse, il s’attire tout, et n’aura que ce qu’il mérite, dont le public sera juge et témoin ; s’il accepte, et je le crois à cette heure que j’ai tout entendu, nous avons notre but ; mais j’avoue que d’abord j’ai cru qu’il n’accepteroit pas. — Mais, monsieur, repris je, il seroit fou de refuser, et il a des gens auprès de lui qui, pour leur part, y perdroient trop et qui n’oublieront rien pour qu’il accepte. Quoi qu’il fasse, son sort sera entre ses mains. Cela nous doit satisfaire pour le cœur ; mis pour l’esprit, l’êtes-vous, et trouvez-vous quelque difficulté ou quelque autre chose à y faire ? — Non, me dit-il, monsieur, et je suis charmé de cette vue ; je vais dire à Millain de travailler à un projet de déclaration pour cela. — Et moi, monsieur, j’en raisonnerai demain matin avec lui ; mais j’en veux dresser une aussi ; et qu’il soit dit que, pour le bien de l’État, des pairs l’aient faite eux-mêmes contre eux-mêmes. »

Il loua ce désintéressement si peu commun, et les différentes raisons et vues de ce projet de distinction du comte de Toulouse, après quoi il me remit sur les difficultés mécaniques que moi-même j’avois formées. Je lui dis qu’il y falloit bien penser, les proposer à M. le duc d’Orléans, et sonder surtout ce qu’on pouvoit attendre de sa fermeté, qui seroit perpétuellement et principalement en jeu dans toute cette grande exécution ; que maintenant qu’il me donnoit sa parole pour ce qui regardoit notre rang, je ne craignois pas de lui engager celle de tous, les pairs d’être pour lui au lit de justice ; que parmi eux, le duc de Villeroy, par ordre du maréchal son père, donné à lui de ma connoissance, et le