Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/385

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maréchal de Villars, tenants principaux du duc du Maine, avoient signé la requête que nous avions présentée au roi et au régent en corps contre les bâtards, qui étoit pour eux en cette occasion une furieuse entrave ; que les pairs pour lui entraîneroient presque tous les autres au lit de justice ; que je doutois que les autres maréchaux de France, destitués de ceux-là, osassent y faire, du bruit ; mais que les deux grands embarras consistoient à dire ou à taire à la régence les déclarations ou édits sur les bâtards, et à savoir que faire tant au conseil qu’au lit de justice, si les bâtards s’y trouvoient.

Après avoir bien raisonné, nous crûmes pouvoir espérer assez de la misère de messieurs de la régence pour préférer de n’y hasarder point ce qui regarderoit les bâtards, s’ils étoient au conseil, et ne le déclarer qu’au lit de justice, et que là, si les bâtards y étoient, c’étoit au régent à payer de fermeté.

En nous quittant, je pris encore la parole positive de M. le Duc qu’il feroit auprès du régent sa propre affaire de la réduction des bâtards au rang de leur pairie, comme de l’éducation même, et je l’adjurai encore comme François et comme prince du sang, de passer la nuit et la matinée prochaines à méditer sur de si grandes choses, et à préférer le bien de l’État à ce qui lui étoit personnel. Il me le promit, me dit encore mille choses obligeantes, et me demanda l’heure pour Millain, que je lui donnai pour le lendemain matin entre huit et neuf heures. Il me pria de voir le régent dans la matinée, et quoique je lui répétasse que ce seroit sans plaider sa cause, mais en remontrant les dangers pour et contre, il ne laissa pas que de me faire encore l’honneur de m’embrasser. Il étoit fort tard, et, sans l’accompagner de peur de rencontre, j’enfilai l’allée basse sous la terrasse de la rivière, et revins chez moi dans une grande espérance pour notre rang, mais la tête bien pleine du grand coup de dé que je voyois sur le point de se hasarder.