Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/13

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dans un étonnement extrême, je me fis répéter à quatre fois et jurer par elle qu’il étoit vrai qu’on ne savoit rien dans Saint-Cloud. Je lui dis de quoi il s’agissoit, et à son tour elle pensa tomber à la renverse. J’en fis effort pour n’aller point chez Mme la duchesse d’Orléans ; mais jusqu’à six ou sept messages redoublés pendant cette dispute me forcèrent d’aller avec la maréchale, qui me tenoit par le poing, s’épouvantoit du cas, et me plaignoit bien de la scène que j’allois voir ou plutôt faire.

J’entrai donc à la fin, mais glacé, dans cet appartement des goulottes de Mme la duchesse d’Orléans, où ses gens assemblés me regardèrent avec frayeur par celle qui étoit peinte sur mon visage. En entrant dans la chambre à coucher la maréchale me laissa. On me dit que Son Altesse Royale étoit dans un salon de marbre qui y tient et est plus bas de trois marches. J’y tournai, et du plus loin que je la vis, je la saluai d’un air tout différent de mon ordinaire. Elle ne s’en aperçut pas d’abord, et me pria de m’approcher, d’un air gai et naturel. Me voyant après arrêté au bas de ces marches : « Mon Dieu, monsieur, s’écria-t-elle, quel visage vous avez ! Que m’apportez-vous ? » Voyant que je demeurois sans bouger et sans répondre, elle s’émut davantage en redoublant sa question. Je fis lentement quelques pas vers elle, et à sa troisième question : « Madame, lui dis-je, est-ce que vous ne savez rien ? — Non, monsieur, je ne sais quoi que ce soit au monde qu’un lit de justice, et rien de ce qui s’est passé. — Ah ! madame, interrompis-je en me détournant à demi, je suis donc encore bien plus malheureux que je ne pensois l’être ! — Quoi donc, monsieur ? reprit-elle, dites vivement : qu’y a-t-il donc ? » En se levant à son séant d’un canapé sur lequel elle étoit couchée : « Approchez-vous donc, asseyez-vous. » Je m’approchai, et lui dis que j’étois au désespoir. Elle, de plus en plus émue, me dit : « Mais parlez donc ; il vaut mieux apprendre les mauvaises nouvelles par ses amis que par d’autres. » Ce mot me perça le