Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/130

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son pauvre père se seroit bien passé. En effet, il fut complet de tous points, et, pour qu’il n’y en manquât aucun, il fut remarqué que La Feuillade, qui avoit très peu servi avant Turin et point du tout depuis, et le duc de Grammont, qui furent tous deux maréchaux de France en la même promotion, n’étoient entrés tous deux dans le service qu’au siège de Philippsbourg, fait par Monseigneur en 1688, c’est-à-dire treize ans complets depuis que Broglio l’eut quitté, c’est-à-dire cessa d’être employé, n’étant que maréchal de camp.

Beaucoup de régiments de gens distingués et plusieurs officiers généraux eurent ordre de se rendre à Bayonne pour servir contre l’Espagne sous Berwick, à qui le roi d’Espagne ne pardonna jamais. M. le prince de Conti obtint d’être fait lieutenant général, de servir dans l’armée du duc de Berwick et d’y commander la cavalerie. Il s’y montra étrangement dissemblable à M. son père et au sang de Bourbon, jusque-là que toutes les troupes, jusqu’aux soldats n’en purent retenir leur scandale. Sa conduite d’ailleurs ne répara rien, et jusqu’à beaucoup d’esprit qu’il avoit lui tourna à malheur. Il eut cent cinquante mille livres de gratification et beaucoup de vaisselle d’argent en présent. Il se fit encore payer ses postes, qu’il courut avec une petite partie de sa suite aux dépens du roi, tant en allant qu’en revenant. Ce n’est pas que le roi n’eût acheté et payé pour lui gouvernement et régiment, et qu’il ne se fût fait lourdement partager d’actions de la banque de Law qui ne lui coûtèrent rien. On rit un peu de l’invention de se faire payer les postes et de la dispute là-dessus qui retarda son départ de dix ou douze jours. À la fin son opiniâtreté l’emporta. Gouvernements et régiments [furent] achetés par le roi pour les princes du sang, les appointements de ces gouvernements triplés pour eux, pensions énormes et gratifications pareilles, sans nombre et sans mesure ; des monts d’or au Mississipi, dont tout le fonds donné et payé par le roi ; les princesses du sang,